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LE MOUVEMENT ET LE TEMPS

Aristote a admis cette dernière opinion courante, mais en ce livre [des Physiques], il a adopté cette première opinion véritable. »

Que le mouvement local soit une réalité distincte du corps qui est mû et de l’ubi acquis par ce corps, c’est donc une proposition qu’Averroès repoussait et que, plus ou moins implicitement, repoussaient après lui les Paripatéticiens du xiiie siècle. Cette proposition, au contraire, s’imposa à l’acceptation des philosophes du jour où ils en vinrent à admettre qu’un corps pouvait être mû de mouvement local bien qu’il n’éprouvât aucun changement de lieu, bien qu’il ne pût acquérir aucun nouvel ubi. Ce jour fut celui où les théologiens qui assistaient Étienne Tempier, évêque de Paris, déclarèrent que Dieu pouvait imposer à l’Univers entier un mouvement de translation.

Nous avons vu comment cette décision avait été, pour la théorie du lieu, le point de départ de tout un développement nouveau ; elle n’a pas eu, elle ne pouvait pas avoir moins d’influence sur la théorie du mouvement.

Si un corps — tel l’Univers dans le cas visé par les théologiens de Paris — peut être mû de mouvement local alors qu’il n’acquiert pas d’ubi, alors qu’il n’acquiert certainement rien, c’est donc que le mouvement local est autre chose qu’une acquisition d’ubi ; or que peut être cette chose, susceptible d’exister alors qu’il n’existe pas d’autre corps que le mobile, sinon une forme inhérente à ce mobile, forme réelle, mais d’une réalité successive et non permanente ? Il faut donc que le mouvement local soit une certaine forme roulante (forma fluens), réellement distincte du mobile, réellement distincte de l’ubi acquis par ce mobile, et capable d’être alors même que cet ubi ne serait pas.

Toute cette doctrine est formulée de la manière la plus nette en ce passage de Duns Scot[1] :

« De même que le Ciel peut tourner bien qu’aucun corps ne le contienne, de même il pourrait tourner alors qu’il ne contiendrait aucun corps ; il pourrait encore tourner, par exemple, s’il était formé d’une seule sphère, homogène dans toute son étendue ; le mouvement de rotation, pris en lui-même, est donc une certaine forme coulante ; et cette forme peut exister par elle-même, sans que l’on ait besoin de la considérer par rapport à un autre corps, soit contenant, soit contenu ; c’est une forme purement absolue. À cela, cherchez une réponse. — Sicut cælum potest circulare,

  1. Joannis Duns Sgoti Quæstiones quodlibetales ; quæst. XI : Utrum Deus post facerte quod manente corpore et loco, corpus non habeas locum ; art. I.