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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

certaine durée, nous remplaçons cet état par un autre état qui lui est complètement hétérogène ; le premier était l’association du sujet avec une réalité purement successive ; en lui substituant le second, nous anéantissons cette réalité successive et nous lui substituons une réalité permanente. Le mouvement est une succession ; nous lui substituons une série continue d’états de repos ; entre cette succession et cette continuité, il y a hétérogénéité radicale, parce qu’il y a hétérogénéité radicale entre la marche vers une disposition, vers une qualité, vers un lieu, et la possession de cette disposition, de cette qualité, de ce lieu.

Entre ces deux doctrines, quelle est celle qu’il convient de choisir ?

À cette question, des réponses bien nombreuses et bien diverses ont été données. Nous allons nous efforcer de résumer les plus importantes.

Et d’abord, quel fut, à ce sujet, l’avis d’Aristote ? Écoutons ce qu’en dit Averroès, qui nous paraît l’avoir très exactement apprécié.

La question qu’examine le Commentateur, au passage qui nous intéresse esl la suivante : Le mouvement doil-il être rangé, oui ou non, dans une catégorie spéciale ? II répond en ces termes[1] :

« En tant que le mouvement ne diffère de la perfection vers laquelle il marche que par une différence du moins au plus, il est nécessaire qu’il appartienne au même genre que cette perfection. Un mouvement, en effet, n’est pas autre chose que la génération, partie après partie, de la perfection même à laquelle tend ce mouvement, jusqu’au moment où cette perfection se trouve achevée et en acte. Il est donc nécessaire que le mouvement qui porte sur la substance se trouve dans la catégorie de la substance ; que le mouvement qui tend à la quantité soit dans la catégorie de la quantité ; et de même pour le mouvement relatif à l’ubi, pour le mouvement relatif à la qualité. En tant, au contraire qu’il est tendance (via) vers une perfection, tendance qui diffère de cette perfection même, le mouvement constitue nécessairement un genre propre. La tendance vers une chose est, en effet, differente de cette chose. C’est à ce point de vue que le mouvement a été regardé comme une catégorie particulière.

» Cette façon-ci de considérer le mouvement est plus communément répandue, mais celle-là est plus exacte. En ses Catégories,

  1. Averrois Cordubensis In libros Aristotelis de physico auditu commentarii magni ; liber III, summa II, cap. I, comm. 3.