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LE MOUVEMENT ET LE TEMPS

nous apparaissent ; Le corps mobile, qui est le sujet du mouvement, et l’ubi engendré dans ce corps par le lieu qui l’entoure à l’instant considéré.

La première de ces réalités, le corps mobile, est une réalité permanente ; la seconde est du genre des réalités permanentes, car on peut concevoir que le corps demeure un temps plus ou moins long au lieu considéré, en sorte que, pendant tout ce temps, il garde le même ubi.

Bien que l’ubi doive être placé au nombre des choses qui peuvent demeurer sans changement pendant un certain temps, au nombre des réalités permanentes, ce n’est pas ainsi que le possède le mobile animé de mouvement local ; à chaque instant, il délaisse un certain lieu, un certain ubi, pour acquérir un nouveau lieu, un nouvel ubi ; il possède cet ubi d’une manière transitoire, partibiliter.

Selon cette analyse, donc, il y a, en tout mouvement, deux réalités ; le corps qui est le sujet de ce mouvement, puis ce qui, dans ce mouvement, se perd ou s’acquiert, ce qui en est l’objet, le terme ; si la première réalité est permanente, la seconde ne se trouvera dans le sujet que sous forme transitoire, partibiliter ; mais elle n’en est pas moins du genre des réalités permanentes ; au lieu de concevoir que chacun de ses états, de ses mutatum esse, soit aussitôt délaissé par le sujet et remplacé par un autre état, on pourrait concevoir qu’elle demeurât un certain temps, au sein du sujet, en l’un quelconque de ses états.

Selon cette analyse, le mouvement nous apparaît comme une suite d’états ; chacun de ces états est formé par l’association de deux réalités, le sujet et la disposition que le sujet acquiert ou perd par le mouvement ; ces réalités sont, toutes deux, du genre des réalités permanentes.

Cette analyse nous révèle-t-elle ce qui constitue l’essence même du mouvement ? Certains philosophes le pensent ; d’autres, au contraire, prétendent que l’idée qu’elle met en notre raison n’exprime nullement la réalité du mouvement.

Selon ces derniers, la réalité associée au sujet qui se meut n’est aucunement du genre des réalités permanentes ; il serait absurde d’admettre qu’elle pût demeurer un temps, si court soit-il, dans un sujet dénué de mouvement ; elle est semblable au temps, dont on ne peut concevoir qu’il cesse de s’écouler ; elle est essentiellement une réalité successive, une forma fluens. Lorsque nous saisissons un des états que le mobile traverse au cours de son mouvement et que nous fixons cet état en une permanence d’une