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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

taine forme coulante, distincte à la fois du corps qui se meut et de la forme ou perfection qui se trouve acquise par le mouvement ? Faut-il, au contraire, nier l’existence d’une telle forme, et ne considérer, dans un mouvement, que le corps qui se meut et la forme qu’il acquiert, forme dont chaque degré est successivement possédé par le mobile d’une manière transitoire, mais serait susceptible, toutefois, d’exister d’une manière permanente ?

Pour faire aisément saisir l’objet et l’importance du procès, prenons pour exemple un certain mouvement, et choisissons d’abord un mouvement d’altération ; considérons un corps qui s’échauffe.

À chaque instant, ce corps est porté à un certain degré de chaleur. Si nous fixons notre attention sur cet instant, nous distinguons deux réalités sans lesquelles le mouvement d’échauffement ne se produirait pas ; la première de ces réalités, c’est le corps, sujet du mouvement ; la seconde est une qualité, la chaleur, portée à une certaine intensité.

Ces réalités sont, toutes deux, du genre des réalités permanentes ; et voici ce qu’il faut entendre par là : On pourrait concevoir, sans contradiction, que le corps demeurât pendant un temps plus ou moins long tel qu’il est à l’instant considéré ; on pourrait également concevoir que, pendant ce temps, ce corps fût doué, sans cesse, de chaleur portée à l’intensité qu’elle atteint à l’instant considéré.

D’ailleurs, il est clair que, dans le corps en mouvement, en voie d’échauffement, la seconde de ces réalités, la qualité, n’existe pas à l’état permanent ; à chaque instant, le sujet quitte une certaine intensité de chaleur pour prendre une intensité de chaleur différente ; bien que cette qualité soit du genre des réalités permanentes, le corps ne la possède que d’une manière transitoire ou, comme disent les maîtres de l’École, partibiliter.

Considérons de la même manière le mouvement local et, afin que l’analogie de ce mouvement avec le mouvement d’altération soit manifeste, adoptons le langage de Duns Scot.

Un corps qui se meut de mouvement local acquiert, à chaque instant, quelque chose. Ce quelque chose n’est pas le lieu, car le lieu d’un corps n’est pas un attribut de ce corps ; il réside dans les corps qui l’entourent. Ce qui est acquis, à chaque instant, par le corps mû de mouvement local, comme la chaleur est acquise par le corps qui s’échauffe, c’est l’ubi.

Analysons donc un mouvement local et fixons notre attention sur l’un des instants de la durée de ce mouvement. Deux réalités