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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

En résulte-t-il que les indivisibles soient de pures abstractions ? Un volume, par exemple, n’est pas composé de surfaces empilées les unes sur les autres. En résulte-t-il que, hors de notre esprit, la surface qui limite un corps ne soit rien du tout ? N’y a-t-il pas, au contraire, des propriétés physiques qui doivent être attribuées non pas à la totalité du corps, mais à la surface qui le borne ? N’en doit-on pas conclure que cette surface a une certaine réalité propre, encore qu’elle ne puisse exister indépendamment du corps dont elle est le terme ?

C’est une question que Jean de Duns Scot pose et examine[1].

Il formule, en ces termes, l’une des deux opinions en présence :

« L’indivisibie n’est rien d’autre que le manque de continuité ; l’instant, par exemple, n’est formellement rien d’autre que le manque de succession ; le point n’est rien d’autre que le défaut de longueur et le terme : point n’exprime rien de positif… Alors la ligne est simplement la privation de largeur et la surface la privation de profondeur. »

Parmi les objections que le Docteur Subtil formule à l’encontre de cette opinion, voici la dernière, qui est aussi la plus importante : « Beaucoup de propriétés sensibles et corporelles existent, comme on le voit, suivant la surface ; la surface n’est donc pas une simple privation. La prémisse tire sa preuve des couleurs et des figures qui, les unes et les autres, sont visibles par elles-mêmes et qui, par conséquent, sont choses positives. La figure, d’ailleurs, suit la surface d’une manière absolument propre, en sorte qu’elle semble un accident qui manifeste la surface ; or il ne paraît pas probable que l’entité positive d’une telle propriété qui suit naturellement la surface et qui la manifeste, implique essentiellement en elle-même une privation ou qu’elle ait une privation pour support (subjectum) immédiat. »

Combattre l’opinion qui, à Duns Scot, semble la plus probable, sera l’une des lâches favorites de Guillaume d’Ockam.

En un précédent Chapitre[2], nous avons décrit le résumé qu’un disciple d’Ockam nous avait laissé de la doctrine de son maître ; si nous ouvrons ce résumé, nous y lisons[3] :

« Selon le principe précédemment énoncé, il pose qu’il ne faut point admettre des indivisibles tels qu’on les admet habituelle-

  1. Joannis Duns Scoti Scriptum Oxoniense super Sententias, lib. II, dist. II, quæst. IX.
  2. Voir tome VI, pp. 619 à 644.
  3. Bibliothèque nationale, fonds latin, ms. 16 130, fol. 129, col. a. — Cap. I, conclusio 11a.