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LE LIEU

ymaginée imobille, car ou regart de celle espace ou selon elle, est mesuré la ysnelleté du mouvement de ces parties. Et par ce appert que le mouvement du ciel ne autre ne requiert, quant est de soy, repos ne mouvement d’autre corps. Et doncques ne vault la conséquence d’Aristote qui disoit : Si le ciel est meu, la terre repose.

» Et encor appert par ce que dit est que mouvement local est autre chouse que le corps ainsi meu, car c’est le corps soy avoir autrement ou regart de l’espace ymaginée immobile ; et tel mouvement est un accident, et non pas chouse qui puisse estre séparée de toute autre, et par soy estant ; car c’est impossible tel qui implique contradiction ; mes est auxi comme seroit la curvité ou la rectitude d’une ligne ou d’une verge, car telle chouse ne peut estre ymaginée sans aucun subject. »

Telle est la théorie de Nicole Oresme ; elle est assez clairement exposée pour rendre tout commentaire superflu.

Lorsqu’il imagine un espace indéfini, immobile, dont l’existence est réelle et indépendante de tout corps ; lorsqu’il ne garde cet espace comme le terme de comparaison auquel se doit, en dernière analyse, rapporter tout mouvement local, il formule une opinion qui a été celle des Stoïciens et de Jean Philopon, mais qui sera aussi celle de Newton et d’Euler. Lorsqu’il identifie cet espace à l’immensité de Dieu, il subit peut-être l’influence de François de Mayronnes, mais, à coup sûr, il devance Clarke qui, contre Leibniz, soutiendra la même doctrine, il devance Spinoza qui formulera cet axiome : L’étendue est un attribut de Dieu.

Ainsi voyons-nous, en 1377, l’Évêque de Lisieux développer, en son français d’une si parfaite lucidité, des pensées qui surgiront de nouveau au cours des temps modernes et susciteront, entre les princes de la Philosophie, des débats destinés à demeurer célèbres. Et peut-être, lorsque nous verrons reparaître ces pensées, ne devrons-nous pas les tenir pour engendrées par une conception vraiment nouvelle ; peut-être n’y devrons-nous voir qu’un écho des anciennes affirmations ; si Spinoza répète ce qu’avait dit Nicole Oresme, c’est sans doute parce que Chaldaï Crezkas le lui a transmis[1].

D’ailleurs, toutes les théories du lieu qui, dans les siècles modernes, trouveront d’illustres partisans, en ont déjà rencontré pendant le xive siècle, au sein de l’École parisienne. Lorsque Pierre d’Ailly, à l’imitation de Campanus de Novare, met autour de l’Univers une sphère immobile qui serve de repère fixe à tous les

  1. Voir : Troisième partie, t. V, ch. VII, § IV, p. 229.