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LE LIEU

général qui garde le nom de distance et qui peut être établi soit entre un corps et une intelligence, soit entre deux intelligences. Mais en quoi consiste la distance prise en ce sens général ? Ce qu’a dit Bonet ne nous l’explique point ; cela seul, cependant, rendrait concevable la théorie de François de Mayronnes.

Revenons au texte de ce dernier[1].

Nous arrivons enfin à ce qui était l’objet même de la question : Le Ciel est-il en un lieu ? « Je réponds que le Ciel n’est pas en un lieu d’une manière matérielle, mais qu’il y est d’une manière formelle, car l’Univers entier a, avec Dieu, un rapport de présence… Dieu pourrait indéfiniment mouvoir le Monde, et le Monde n’acquerrait par là aucun rapport nouveau à l’égard de Dieu ; on ne peut, en effet, rien admettre d’autre, ni le vide, ni l’espace réellement existant (spatium positivum). »

Prendre pour lieu un espace qui est une réalité alors même qu’il est vide de tout corps, qui est infini et immobile, c’est ce que faisaient les Stoïciens et, particulièrement, Jean Philopon. François de Mayronnes, dans la question que nous venons de citer rejette cette théorie : « S’il existait, dit-il, un tel espace séparé, il serait bien possible qu’il fut le lieu ; mais, selon la foi, nous n’admettons pas un tel infini réellement existant. »

Or cette théorie stoïcienne du lieu, que François de Mayronnes ne veut point accepter, nous allons la voir reprise et fondue, en quelque sorte, avec celle que soutient le Maître des formalités ; cette synthèse sera l’œuvre de Nicole Oresme.

Voici, en effet, ce qu’Oresme enseigne en son Traité du Ciel et du Monde[2] :

« Et doncques hors le ciel est une espace vuide, incorporèle, d’autre manière que n’est quelconque espace plaine et corporèle, tout aussi comme la duracion appelée éternité est d’autre manière que n’est duracion temporèle, meisme qui seroit perpétuèle…

» Item ceste espace dessus dicte est infinie et indivisible, et est l’imensité de Dieu, et est Dieu, meisme aussi comme la duracion de Dieu appelée éternité est infinie et indivisible et Dieu meisme…

» Item en cest chapitre est dit devant que, [comme] notre pensée ne puet estre sans transmutation, nous ne pouvons comprendre ne proprement entendre que est éternité, et nientmoins, raison naturele nous enseigne qu’elle est et, de ce, puet estre entendue

  1. Francisci de Mayronis Op. laud., loc. cit.
  2. Nicole Oresme, Traité du Ciel et du Monde, livre I, ch. XXIV ; Bibliothèque Nationale, fonds français, ms. no 1083, fol. 21, col. d, et fol. 22, col. a.