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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

suprême qui n’est dans aucun genre, auquel il n’est permis d’attribuer aucune des catégories. Ainsi donc, selon la réponse précédente, ce qui peut loger, ce qui peut servir de lieu, c’est tout ce qui existe, hors Dieu.

« Mais à l’encontre de cette réponse, on peut formuler un doute : En tant que raison formelle de la localisation active, la nature n’est pas, semble-t-il, le premier sujet [qui possède cette propriété] ; et par premier sujet, j’entends premier de cette priorité qui est l’adéquation. On le prouve ainsi : La première Intelligence peut, semble-t-il, être le terme d’une présence acquise par le mouvement local et, par conséquent, la raison du lieu [actif] ; or cette Intelligence n’est pas comprise en la nature, car la nature est un être limité, et non la première Intelligence…

» Il est facile de résoudre cette objection : Vous dites, en effet, que la première Intelligence peut servir de terme à une présence acquise par le mouvement local ; mais peut-être bien le nierait-on. La première Intelligence est partout présente ; aucune distance ne la sépare d aucune position ; on ne voit donc pas comment on pourrait, de mouvement local, se mouvoir vers elle.

» Si l’on accordait, toutefois, qu’il en soit ainsi ; qu’une chose peut, par mouvement local, acquérir tantôt une présence et tantôt une autre à l’égard de la première Intelligence, il faudrait dire, alors, que l’aptitude à fournir un lieu, la locabilité active, n’est point une propriété que l’on puisse échanger avec la nature, de telle sorte que la nature soit la même chose que la locabilité, que la locabilité, dis-je, prise selon le concept le plus universel ; il faudrait accorder que la nature ne se rencontre pas en toute locabilité active. »

C’est avec quelque hésitation que Bonet rejette ici la théorie soutenue par Mayronnes, la théorie qui fait de Dieu même le terme d’une présence qui peut différer d’une chose du Monde à l’autre et, par conséquent, le lieu de ces choses. En effet, ce qu’il dit contre cette présence différente d’une chose à l’autre, on pourrait le répéter pour l’autre rapport que Mayronnes admet, pour le rapport qui, d’un instant à l’autre, rend une même chose diversement présente à Dieu et qui, pour cette chose, constitue le temps. On pourrait déclarer qu à tout instant, Dieu éternel et immuable est présent de la même manière à toute chose ; qu’en cette présence, il ne saurait y avoir rien de changeant, rien de successif, rien qui puisse être la raison formelle du temps. Des deux théories proposées par François de Mayronnes pour le lieu et pour le temps, il est difficile de rejeter l’une sans rejeter l’autre,