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L’INFINIMENT PETIT ET L’INFINIMENT GRAND

dan, nous l’avons vu[1], attache, lui aussi, une grande importance ; mais le rôle qu’il leur attribue est, pour ainsi dire, inverse de celui que ses prédécesseurs leur avaient attribué.

Bacon, Duns Scot, Ockam se lient à l’absolue certitude de la Géométrie ; puisque, de l’existence des indivisibles, on peut tirer tics conclusions contraires à la Géométrie, c’est donc, très certainement, que les grandeurs continues ne se composent pas d’indivisibles.

En cette proposition : La grandeur continue n’est pas composée d’indivisibles, Buridan ne voit plus un corollaire dont la vérité est assurée par la nécessité de ne pas contredire à la Géométrie, science d’incontestable certitude ; il y voit un principe dont le géomètre est obligé d’admettre la vérité pour construire sa science, un postulat dont ce géomètre ne peut se passer, dont le refus le contraindrait de renoncer à son œuvre. Bien loin donc que la certitude de la Géométrie garantisse la vérité de cette proposition, c’est la vérité de la Géométrie tout entière qui est subordonnée à l’exactitude de cette proposition ; et cette exactitude, ce n’est pas à la Géométrie, c’est à la Physique ou à la Métaphysique de l’établir.

Trop profonde, sans doute, et trop inattendue était l’idée de Buridan, car elle ne paraît pas avoir été admise même par ses plus fidèles disciples. Albert de Saxe[2] et Marsible d’Inghen[3] opposent, à l’hypothèse des indivisibles, les arguments de Duns Scol ; ils n’hésitent pas à s’en remettre à la Géométrie du soin de réfuter cette hypothèse.


III
Les indivisibles sont-ils de pures abstractions ?


Si l’on met à part un petit nombre d’atomistes comme Gérard d’Odon ou Nicolas d’Autrecourt, les scolastiques s’accordent, au xiiie siècle et au xive siècle, à affirmer cette proposition : Un continu n’est pas, d’une manière réelle et actuelle, composé d’indivisibles.

  1. Voir tome VI, p. 704.
  2. Acutissimæ quæstiones super libros de physica auscultatione ab Alberto de Saxonia editæ ; in lib. VI, quæst. I.
  3. Questiones subtilissime Johannis Marcilii Inguen super octo libros physicorum secundum nominalium viam. Colophon : Impresse Lugduni per honestum virum Johannem Marion, anno Domini MCCCCCXVIII ; in lib. VI, quæst. I.