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LE LIEU

souscrivent à l’axiome de Jean de Bassols et de Guillaume d’Ockam : Pour qu’un corps se meuve de mouvement local, il faut et il suffit que, d’un instant à l’autre, il se comporte d’autre manière à l’égard d’un terme fixe réel ou simplement conçu.

Ne croyons pas, cependant, que l’adhésion à cette proposition n’eût d’autre exception que celle de Jean Buridan. Certains maîtres ne voulaient pas que l’on jugeât du mouvement local en comparant les positions diverses du corps mobile à un repère simplement conçu ; comme Aristote et Averroès, ils veulent que ce terme fixe existe réellement ; mais instruits par l’échec de la tentative d’Aristote et d’Averroès, ils cherchent ailleurs que parmi les corps de ce Monde l’être dont l’immobilité permettra de juger du mouvement local.

D’une telle pensée, nous trouvons la première indication dans la théorie du lieu de ce Thomas Wilton que Jean le Chanoine appelle Thomas l’Anglais.

Selon Thomas l’Anglais, le lieu d’un corps plongé dans l’air est, comme le veut Aristote, l’ensemble des parties de l’air qui sont immédiatement contiguës à ce corps. En tant que ce sont des parties de l’air, elles sont mobiles comme l’air auquel elles appartiennent ; mais il n’en résulte pas que le lieu du corps soit mobile. Ce n’est pas parce qu’elle est de l’air que la partie de l’air contiguë au corps constitue le lieu de ce corps ; c’est parce qu’elle est dans un certain ordre à l’égard du centre et des pôles du Monde, ou bien encore à l’égard de l’intelligence qui meut le premier mobile, intelligence qui est immuable. D’après cette théorie, le lieu d’un corps immobile ne change pas lorsque la matière ambiante se déplace.

Sauf l’idée assez étrange de demander à l’intelligence, qui meut le Ciel suprême, le terme fixe qui sert à déterminer l’immobilité du lieu, cette théorie est purement thomiste. Scotiste convaincu, Jean le Chanoine la rejette. Je ne puis comprendre, dit-il[1], le rôle qu’elle attribue aux pôles ; il n’y a rien d’immobile dans le Ciel ; les pôles ne peuvent donc être immobiles ; s’ils sont mobiles, comment serviront-ils à fixer l’immobilité du lieu ? « On en peut dire autant, ajoute-t-il, du centre et de l’intelligence. »

Cette intelligence immuable qui meut le premier mobile, et qu’il distingue évidemment de Dieu, Thomas Wilton l’indique

  1. Joannis Canonici Quæstiones super VIII libros Physicorum ; lib. VII, quæst. I.