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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

plusieurs reprises les petits mouvements que la Terre peut éprouver et les déplacements lents qui en résultent pour les océans et pour la terre ferme. Pour parler logiquement de ces mouvements, il lui faut bien les rapporter à un repère fixe, et ce repère ne saurait être la Terre dont il se propose précisément d’analyser les déplacements. Il prend donc pour terme fixe un Ciel réel ou possible, qui peut être l’Empyrée ou tout autre Ciel ; c’est à ce cælum quiescens qu’il rapporte constamment la position de la Terre et des mers : « Afin d’éviter toute chicane[1], comme nombre de parties de la Terre peuvent se mouvoir ou être engendrées, je fais cette hypothèse, qui est véritable ou simplement possible (pono ymaninationem possibilem vel veram), à savoir qu’il existe un Ciel constamment immobile, que ce soit l’Empyrée ou un autre Ciel… »

C’est l’emploi de ce Ciel immobile, réel ou fictif, qui permet à Jean II Buridan de formuler des énoncés tels que celui-ci[2] : « Si l’on admet que l’Océan recule constamment d’un côté tandis qu’il avance de l’autre, il faut changer sans cesse la position du méridien moyen de la Terre habitable par rapport au Ciel que l’on a supposé immobile (in ordine ad cælum ymaginatum quiescens). »

Un tel emploi d’un Ciel immobile, réel o simplement conçu, auquel se peuvent rapporter même les mouvements de la Terre est très exactement conforme aux principes posés par les docteurs les plus éminents de l’École nominaliste, par Guillaume d’Ockam, par Albert de Saxe, par Marsile d’Inghen. Il ne saurait être confondu avec l’opinion qui a été professée par Campanus de Novare, combattue par Duns Scot et Jean le Chanoine, traitée avec dédain par Albert de Saxe, reprise enfin, au temps même où professait Jean II Buridan, par Pierre d’Ailly.


XII
L’immobilité du lieu et l’immutabilité de Dieu. Thomas Wilton.
François de Mayronnes. Nicolas Bonet. Nicole Oresme.


Si nous exceptons le philosophe de Béthune, Jean I Buridan, tous les maîtres parisiens dont nous venons d’analyser les écrits

  1. Jo. Buridan Questiones in libros Metheororum, in lib. I, quæst. XXI ; ms. cit., fol. 202, col. b.
  2. Jean II Buridan, loc. cit., fol. 204, col. a.