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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

Sur la nature meme du lieu, la pensée des disciples de Duns Scot était en opposition avec celle des Terminalistes.

Pour les premiers, la surface du corps contenant était une réalité distincte de ce corps lui-même ; cette réalité servait de support, de sujet à une certaine entité qui constituait le lieu. Pour les seconds, la surface n’avait aucune réalité indépendante du corps ; le lieu n’était pas une entité surajoutée à cette surface, mais une indication supplémentaire ; en réalité, le corps, la surface et le lieu n’étaient qu’une seule et même chose.

Profondément divisés en ce qui concerne la nature du lieu, les Scotistes et les Occamistes se trouvaient unis en une même doctrine lorsqu’il s’agissait de préciser le rôle que le lieu joue dans le mouvement local ; au sujet de l’immobilité du lieu, de la localisation de l’orbite suprême, du rapport qu’a l’immobilité de la Terre au mouvement du Ciel, ils exprimaient les mêmes pensées dans les mêmes termes. Partis de deux Métaphysiques différentes et, pour ainsi dire, opposées, ils aboutissaient aux mêmes conséquences dans le domaine de la Physique et de l’Astronomie.

Parmi les maîtres de l’Université de Paris, les uns, au sujet de la théorie du lieu, adoptèrent la doctrine occamiste, les autres la doctrine scotiste ; certains d’entre eux, même, et non des moindres, purent hésiter entre ces deux doctrines et donner leur assentiment tantôt à l’une et tantôt à l’autre ; l’un des plus illustres, à la fin du xive siècle, Marsile d’Inghen, fut successivement, en cette question, disciple d’Ockam, puis de Duns Scot.

Ce que Marsile d’Inghen dit du lieu, en son Abrégé de Physique, n’est rien qu’un résumé fidèle de la doctrine d’Albert de Saxe.

» Le mot : lieu[1] peut être pris de deux manières, au sens propre ou au sens vulgaire. Au sens propre, le lieu est la surface interne du corps contenant, immédiatement contiguë au corps contenu. Au sens vulgaire, le lieu désigne l’objet immobile ou l’objet mû d’un autre mouvement qui sert, à titre de terme de comparaison, à percevoir qu’un certain corps est en mouvement… »

« Le lieu proprement dit n’est pas une surface sans profondeur… Toute surface a profondeur. Il en résulte qu’un corps quelconque a une infinité de lieux proprement dits ; en effet, chaque couche superficielle découpée dans le corps contenant et

  1. Marcilii Inguen Abbreviationes libri Physicorum, fol. signé d 3, coll. c et d.