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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

que instant d’une manière différente par rapport à un objet fixe. S’il n’existait aucun objet fixe, il paraît bien que le Ciel ne saurait se mouvoir. »

Cet argument, que Walter Burley acceptait, n’est pas convainquant ; « Pour qu’un corps se meuve, il n’est pas nécessaire que, d’un instant à l’autre, il se comporte différemment par rapport à un objet extrinsèque ; il suffit qu’il se comporte différemment d’une manière intrinsèque. Si Dieu imposait un mouvement de translation à l’Univers entier, ce qu’un des articles formulés à Paris déclare possible, l’Univers ne changerait pas d’un instant à l’autre par rapport à un objet extrinsèque ; mais il éprouverait un changement intrinsèque ; à chaque instant, en effet, il y aurait en lui une nouvelle partie de mouvement. »

Un à un, nous voyons tomber les arguments par lesquels, du mouvement du Ciel, les Péripatéticiens et les Averroïstes concluaient à la nécessité d’une Terre immobile au centre du Monde.

D’ailleurs, le lien que ces arguments prétendaient établir entre la rotation uniforme d’une orbite céleste et la présence d’un corps immobile au centre de cette orbite n’existe manifestement pas : « Selon les astronomes, l’épicycle tourne autour de son propre centre ; et cependant, en ce centre, il n’existe aucun corps immobile ; la masse sphérique de l’épicycle se meut en son entier. » Les Péripatéticiens et les Averroïstes prétendaient opposer au système de Ptolémée la proposition qu’ils se flattaient d’avoir démontrée ; le système de Ptolémée est invoqué maintenant pour condamner cette proposition.

Il est donc faux de prétendre que la rotation du Ciel exige la présence, au centre du Monde, d’une Terre immobile par rapport à laquelle la position du Ciel puisse changer d’un instant à l’autre. « La Terre et le Ciel pourraient se mouvoir tous deux, et cependant, bien que la Terre ne fût pas en repos, la position du Ciel par rapport à la Terre changerait d’instant en instant. C’est seulement dans le cas où la Terre et le Ciel tourneraient dans le même sens et avec la même vitesse angulaire de rotation que la position du Ciel par rapport à la Terre demeurerait invariable. »

Parmi les arguments qui, du mouvement du Ciel, concluent au repos de la Terre, il en reste un auquel Albert de Saxe déclare donner son approbation plutôt qu’à tous les autres ; c’est l’argument proposé par Jean de Jandun : La génération et la corruption des êtres sublunaires exigent que la situation du Ciel par rapport à la Terre change d’instant en instant ; puis donc que le Ciel se meut, il faut que la Terre demeure immobile. « Mais,