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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

ble, ni par ses parties[1], contrairement à ce qu’ont soutenu tant d’auteurs, depuis Aristote et Thémistius jusqu’à saint Thomas d’Aquin. Peut-on, du moins, dire avec le Commentateur que l’orbite suprême est en un lieu par accident, à savoir par son centre ? Encore que l’opinion du Commentateur puisse être entendue dans un sens juste, comme ou le verra bientôt, les expressions dont il se sert sont impropres[2] ; à proprement parler, la neuvième sphère n’a pas de lieu, même par accident.

Les Scotistes tels que Jean le Chanoine refusaient au dernier orbe toute espèce de lieu ; mais ils lui accordaient un ubi, ubi d un genre particulier, d’ailleurs, auquel ils donnaient le nom d’ubi actif ; à la neuvième sphère, privée de lieu, Albert va-t-il, lui aussi, attribuer un ubi ?

Disciple d’Ockam, Albert de Saxe n’admet nullement l’existence de cette entité que les Scotistes désignent par le nom d’ubi. Selon les disciples de Scot, « le prédicament ubi désigne un certain rapport réel[3], distinct de la substance et de la qualité ; ce rapport provient de la circonscription du corps contenu par le lieu. À leur avis, pour que l’on puisse dire qu’un corps a un ubi, il faut qu’il existe un rapport réel distinct à la fois du lieu et du corps qu’il contient ; le corps logé serait le sujet de ce rapport, qui serait dans le lieu seulement à titre de relation… Mais cette opinion n’est pas exacte… Elle superpose inutilement une réalité nouvelle au lieu et au corps contenu… Les termes du prédicament ubi ne doivent pas être regardés comme des choses distinctes de la substance et de la qualité. »

Dès lors, si l’on dit qu’un corps a un ubi[4], qu’il est quelque part (alicubi), on voudra simplement dire qu’il est au-dessus, ou au-dessous, ou à côté, ou autour de quelque autre corps ; dans ce sens, on peut dire que la neuvième sphère céleste a un ubi.

  1. Quæstiones subtilissimæ Alberti de Saxonia in libros de Cœlo et Mundo ; in lib. I, quæst. I : Utrum cuilibet corpori simplici insit naturaliter tantum unus motus simplex ?
  2. Alberti de Saxonia Quæstiones super libros de physica auscultatione ; in lib. IV, quæst. VII.
  3. Logica Albertucili. Perutilis logica excellentissimi theologie professoris magistri Alberti de Saxonia ordinis eremitarum Divi Augustini : per reverendum sacre pagine doctorem magistrum Petrum Aurelium Sanutum Venetum ejusdem ordinis professum : quam diligentissime castigata : nuperrimeque impressa. — Colophon : Explicit perutilis logica… impressa Venetiis ere et sollertia Heredum Domini Octaviani Scoti civis Modoetiensis et sociorum. Anno a Christi ortu MDXXII. Die XXII mensis Augusti. Tractatus primi cap. XXV : De predicamento quando et aliis sex predicamentis ; fol. 10, col. d.
  4. Alberti de Saxonia Quæstiones super libros de physica auscultatione ; in lib. IV, quæst. VIII.