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LE LIEU

la même distance, elle devient une autre distance. « Il y a longtemps que les tours de Notre-Dame sont immobiles ; et cependant, pendant tout ce temps, leur distance à l’orbe de la Lune n’est pas demeurée la même ; les corps intermédiaires, en effet, ont changé ; l’air et le feu qui se trouvent entre ces tours et l’orbite lunaire se meuvent sans cesse ; or la distance n’est pas autre chose que les corps intermédiaires entre les deux corps distants. »

Entre deux corps immobiles, la distance ne demeure pas toujours la même, mais elle demeure la même par équivalence ; à deux instants différents, les distances de ces deux corps sont numériquement distinctes ; mais elles sont équivalentes entre elles ; le géomètre leur attribue la même mesure.

C’est dans ce sens qu’il convient de modifier la définition du lieu formel que Gilles de Rome avait donnée : « On nomme lieu formel la distance du corps logé à l’orbite lunaire ou aux objets de ce Monde qui demeurent immobiles ;… lorsqu’on parle de distance à l’orbite ou aux corps immobiles, on veut dire que le même lieu correspond toujours à une égale distance, et une distance de grandeur différente à un autre lieu ; on considère une distance comme demeurant la même par équivalence, et non pas au sens numérique. » — « …On peut dire alors qu’un corps demeure immobile lorsqu’il demeure dans le même lieu, en entendant le mot lieu au sens formel, et en prenant les mots : le même non pas au pied de la lettre, mais comme signifiant équivalent… En ce sens, je puis dire que je suis en ce moment au même lieu qu’au début de la leçon, parce que la distance entre l’orbite lunaire et moi a une longueur égale à celle qu’elle avait alors, et qu’il en est de même de la distance entre l’un de vous et moi. »

Voici maintenant Albert de Saxe aux prises avec le problème qu’Averroès appelait une grande question : La dernière sphère est-elle en un lieu ?

Inspirée par la définition du lieu qu’Ockam avait donnée, la réponse d’Albert est formulée plus nettement encore que celle du Venerabilis Inceptor ; le désir de dissiper certains doutes qui avaient embarrassé Walter Burley contribue assurément à préciser cette réponse.

La sphère ultime, la neuvième sphère, selon l’opinion alors unanime des astronomes, n’a pas de lieu[1], puisqu’elle n’a pas de contenant. Elle n’a de lieu ni par elle-même, prise en son ensem-

  1. Alberti de Saxonia Quæstiones super libros de physica auscultatione ; in lib. IV, quæst. VII : Utrum omne ens sit in loco ?