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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

l’aide d’un moindre nombre ; or, si nous supposons que la grandeur n’est pas une réalité distincte du corps étendu, nous invoquons un moindre nombre d’entités que si nous faisions de cette grandeur et de ce corps deux réalités distinctes, et cependant nous expliquons aussi bien toutes choses, »

Lors donc qu’Albert de Saxe définit le lieu comme la surface du contenant, il ne prend pas cette formule au pied de la lettre[1] ; en réalité le lieu est un corps ; s’il substitue le mot surface au mot corps, c’est afin de marquer que le contenant est lieu par le fait qu’il touche le contenu, et que ce contact est établi seulement selon les deux dimensions d’une surface, sans que la profondeur y joue aucun rôle.

Le lieu est un corps ; le lieu est donc mobile[2], en dépit des affirmations du Commentateur et de ses partisans.

Ce mouvement du lieu ne résulte pas nécessairement du mouvement du corps contenu. Le corps contenu peut éprouver un mouvement de rotation sans que le lieu change ; « le vin peut tourner dans la pinte bien que la pinte demeure en repos » ; mais cela n’est vrai que du mouvement de rotation ; si le corps contenu éprouve un mouvement de translation, le lieu de ce corps se meut nécessairement ; « si une pierre tombe dans l’eau, les parois d’eau qui formaient son lieu viennent, à chaque instant, se conjoindre derrière elle ».

Le lieu se meut lorsque le corps contenant se meut ; il n’en résulte pas que le corps contenu se meuve en même temps ; les tours de Notre-Dame se mouvraient sans cesse, car l’air qui les entoure change à chaque instant ».

Mais il s agit là du mouvement du lieu matériel ; ne peut-on, avec Gilles de Rome, dire que le lieu formel des tours de Notre-Dame ne varie pas, parce que ce lieu formel est constitué par la distance de ces fours à l’orbite céleste ou à quelque autre corps fixe, et que cette distance demeure toujours la même ?

Il n’est pas vrai que la distance d’un corps immobile à l’orbe céleste ou à un autre corps immobile demeure toujours la même. Les Terminalistes n’admettent pas qu’une grandeur mathématique, considérée isolément, ait aucune réalité ; la distance de deux corps n’est rien hors des corps qui se trouvent entre les deux premiers ; quand ces corps intermédiaires changent, elle ne reste pas

  1. Alberti de Saxoxia Questiones super libros de physica auscultalione ; in lib. IV, quæst. I.
  2. Alberti de Saxonia Quæstiones super libros de physica auscultatione ; in lib. IV, quæst. III : Utrum locus sit immobilis ?