Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VII.djvu/286

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
279
LE LIEU

C’est l’emploi de ce Ciel immobile, réel ou fictif, qui permet à Buridan de formuler des énoncés tels que celui-ci[1] :

« Si l’on admet que l’Océan recule constamment d’un côté tandis qu’il avance de l’autre, il faut changer sans cesse la position du méridien moyen de la Terre habitable par rapport au Ciel immobile qu’on a imaginé (in ordine ad cælum ymaginatum quiescens). »

Dans ces passages, Buridan parle comme le pourrait faire Guillaume d’Ockam ; pour raisonner des mouvements locaux dont il s’occupe, il se contente d’un repère fixe purement conçu. Mais s’il croit, avec Ockam, que ce repère fictif suffit pour que nous puissions discourir de ces mouvements, il ne pense pas, comme le Venerabilis inceptor, qu’un tel heu purement hypothétique suffit à conférer la réalité à ces mouvements.


X
Albert oe Saxe


Albert de Saxe suit presque toujours, d’une manière très fidèle, les opinions que Jean Buridan a émises au sujet du lieu.

Comme Jean de Jandun, comme Walter Burley, Albert de Saxe définit[2] le lieu d’un corps : la surface par laquelle le contenant touche ce corps ; mais il ne donne pas à cette formule le sens que Jandun et Burley lui attribuent : « Ceux qui regardent la surface comme une réalité indivisible surajoutée au corps prennent cette proposition au pied de la lettre. » Albert de Saxe n’est pas de ceux qui suivent ainsi l’opinion de Duns Scot ; il se range, à ce sujet, parmi les fidèles disciples d’Ockam ; il se refuse à regarder les diverses grandeurs que considère le géomètre, la ligne, la surface, le volume, comme des réalités distinctes du corps : « C’est un péché[3] de rendre compte des choses en invoquant un plus grand nombre de réalités, lorsqu’on peut en rendre compte à

  1. Joannis Buridani Op. laud., lib. I, quæst. XXI : Consequenter quæritur 21° et ultimo circa primum metheororum, utrum possibile est naturaliler tantos montes quanti maximi apparent nobis destrui, et reverti ibi terra ad planitiem. Ms. cit., fol. 204, col. a.
  2. Acutissimæ quæstiones super libros de physica auscultatione ab Alberto de Saxonia editæ ; in Lib. IV, quæst. I : Utrum locus sit superficies ?
  3. Alberti de Saxonia Quæstiones super libros de physica auscultatione ; in lib. I, quæst. VI : Utrum omnis res extensa sit quantitas ?