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LE LIEU

existant, car il pourrait se faire qu’il ne se rencontrât aucun corps immobile ; à son avis, un corps qui se meut c’est, essentiellement, un corps qui, d’un instant à l’autre, se comporterait différemment par rapport à un objet immobile, s’il existait un tel objet.

Cette forme conditionnelle donnée à la définition du mouvement ne satisfait aucunement Buridan[1]. « Quelques-uns répondent que se mouvoir c’est se comporter différemment, d’un instant à l’instant suivant, à l’égard d’un corps immobile, et cela soit d’une manière absolue (simpliciter) si un certain corps demeure immobile, soit sous condition : Si quelque chose demeurait immobile, le corps mû se comporterait différemment, d’un instant à l’autre, par rapport à ce quelque chose.

» Cette échappatoire ne vaut rien. Elle n’empêche pas ceci, que la sphère ultime se mouvrait en fait alors même qu’en fait il n’existerait aucun corps immobile ; dans ce cas donc cette sphère ne pourrait, en fait, se comporter diversement d’un instant à l’autre par rapport à quelque corps immobile ou à quelque objet extrinsèque. Dès lors, si, d’un instant à l’autre, elle ne se comportait pas différemment d’une manière intrinsèque, d’aucune manière elle ne se comporterait, en fait, d’une façon différente d’un instant à l’autre ; et par conséquent, en fait, elle ne changerait d’aucune manière, car pour changer, il faut se comporter différemment d’un instant à l’autre, en fait et absolument, et non pas seulement sous condition. »

Comment Buridan conçoit ce changement intrinsèque d’un corps qui, en l’absence de tout lieu immobile, peut se mouvoir néanmoins de mouvement local, c’est ce que nous verrons au prochain chapitre.

La simple conception d’un lieu, d’un repère fixe qui n’existerait pas en fait ne saurait, au gré de Buridan, suffire à constituer la réalité d’un mouvement local ; mais elle peut suffire à la description d’un tel mouvement, et elle lui doit suffire, s’il n’existe aucun corps absolument fixe auquel ce mouvement puisse être rapporté. Nulle part Buridan n’énonce cette restriction qu’appelle sa doctrine ; mais qu’il en admette l’exactitude, il nous le prouve par sa manière de raisonner en une certaine circonstance.

Buridan ne croit pas qu’au delà des sphères célestes mobiles, considérées par les astronomes, on doive placer un Empyrée immobile ; dans ses Questions sur les livres du Ciel et du Monde, il consacre toute une question à exposer et à réfuter les raisons

  1. Jean Buridan, loc. cit., fol. I, col. d.