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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

chapitre suivant ; cette question concerne la nature du mouvement local ; au sujet de cette nature, nous verrons Buridan soutenir la doctrine de Duns Scot contre les doctrines de Grégoire de Rimini et de Guillaume d Ockam. En particulier, l’intention formelle du Philosophe de Béthune, dans le passage que nous venons de citer, est de réfuter la théorie du mouvement local proposée par Grégoire de Rimini ; le mouvement local ne saurait être formellement identique au lieu que le mobile acquiert à chaque instant.

Le mouvement local peut-il, comme le veut Guillaume d’Ockam, n’être autre chose que le mobile lui-même qui, d’instant en instant, se comporte différemment par rapport à un repère fixe ? Buridan sait, et il nous l’a dit, qu’aucun mouvement local n’est perceptible au sens si le corps mobile ne change continuellement de position par rapport à un corps fixe ou si les parties de ce mobile ne se disposent diversement par rapport aux parties de ce repère fixe. Mais il ne saurait accorder que le mouvement local se réduise, dans la réalité, à ce qui permet à nos sens d’en constater l’existence et d’en étudier les particularités.

« Si la sphère ultime se meut[1], ce n’est pas simplement parce qu’elle se comporte sans cesse de différente façon par rapport à la Terre ou à quelque autre corps. Je le prouve : Elle ne se mouvrait pas moins lors même que tous les autres corps tourneraient avec elle sans éprouver aucun mouvement différent du sien ; dans ce cas, cependant, il n’existerait aucun objet par rapport auquel elle se pût comporter différemment d’un instant à l’instant suivant. De même, pour qu’un corps se mût de mouvement rectiligne, il faudrait qu’il se comportât différemment d’un instant à l’autre par rapport à quelque objet, tout comme cela est nécessaire pour qu’il se meuve de mouvement curviligne ; et cependant, pour qu’il y ail mouvement rectiligne, il n’est pas nécessaire que le mobile se comporte différemment d’un instant à l’autre par rapport à quelque autre corps ; en effet, si Dieu mouvait le Monde entier d’un mouvement rectiligne, le Monde n’éprouverait pas de continuel changement de disposition par rapport à la Terre. »

Guillaume d’Ockam, il est vrai, a prévu et examiné cette objection, et il a cherché à l’éviter ; un corps qui se meut, ce n’est pas simplement, selon lui, un corps qui, d’instant en instant, se comporte différemment par rapport à un corps immobile réellement

  1. Jean Buridan, Quœstiones super Physicorum libros, loc. cit., fol. I, col. c.