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LE LIEU

qu’à l’orbe suprême, de même pourrait-il donner au Monde entier, y compris les corps sublunaires, une rotation d’ensemble alors que les diverses sphères demeureraient distinctes les unes des autres ; mais tout aussi bien pourrait-il mouvoir ce Monde après l’avoir transformé en un tout homogène et continu. Dieu pourrait donc mouvoir le Monde entier alors que ce Monde n’aurait plus de lieu. »

Nous voyons que Buridan, au sujet du problème qui nous occupe, accorde plein crédit à la décision d’Étienne Tempier. Cette décision, il l’invoque encore dans un autre ouvrage dans ses Questions sur les livres du Ciel et du Monde.

« Il faut savoir, dit-il[1], que ces raisons sont suffisamment probantes en ce qui concerne les puissances naturelles et les mouvements naturels ou violents ; mais elles ne sont pas suffisamment probantes en ce qui concerne les puissances surnaturelles ou les mouvements qui proviendraient d’une puissance surnaturelle, savoir de la puissance divine.

» Il est véritable, en effet, que tout ce qui est, par nature, mobile de mouvement rectiligne doit être en un lieu et, nécessairement, est en un lieu, à moins qu’il ne soit absous de cette exigence par la puissance divine…

» Mais, touchant la puissance divine, il a été décidé par l’Évêque et l’Université de Paris (per episcopum et studium parisienses) que c’est une erreur de dire : Dieu ne peut mouvoir le Monde tout entier et dans son ensemble de mouvement rectiligne. Le Monde entier, cependant, pris dans son ensemble, n’est en aucun lieu, car il n’existe, hors de lui, aucun corps qui le contienne. Ainsi, pour qu’une chose soit mue de mouvement rectiligne par la puissance divine, aucun lieu n’est requis, ce que supposaient les raisons précédentes. Qu’il n’existe aucun lieu, et Dieu, cependant, pourrait mouvoir cette pierre de mouvement rectiligne aussi bien qu’il pourrait mouvoir le Monde entier. De cela, il a été parlé plus longuement au livre des Physiques. »

Revenons donc aux Questions de Jean Buridan sur le livre des Physiques.

Le débat que notre auteur a ouvert dans les deux passages que nous venons de citer excède le simple problème du lieu ; une autre question s’y trouve jointe, dont nous traiterons longuement au

  1. Questiones super libris de celo et mundo magistri Johannis Byridani, rectoris Parisius. Lib. I, quæst. XV : Utrum possibile est corpus recte motum esse infinitum, Bibl. Royale de Munich, Cod. lat 19551, fo. 77, col. c.