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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

Jean Buridan souscrit alors à l’aphorisme d’Averroès : La sphère suprême n’est pas un lieu per se, mais elle est en un lieu per accidens ; toutefois, il y souscrit à cette condition, qu’Averroès n’eût sans doute pas acceptée : Le lieu per se est le lieu proprement dit ; le lieu per accidens est le lieu improprement dit.

Jean Buridan souscrit également à l’opinion d’Avicenne : La sphère suprême se meut non de mouvement local, mais de mouvement relatif à la situation, car si elle n’a pas de lieu proprement dit, elle a une situation qui change d’un instant à l’autre ; ses diverses parties, en effet, se trouvent à des distances variables des diverses parties de la Terre. Averroès et saint Thomas d’Aquin ont repoussé cette doctrine d’Avicenne ; Buridan, à son tour, déclare mal fondées toutes les objections qu’ils ont formulées.

Bien que la sphère suprême n’ait pas de lieu proprement dit, elle se meut ; mais elle a un lieu improprement dit, la Terre immobile, terme de comparaison qui nous permet d’apprécier le mouvement de l’orbite ultime ; ce lieu improprement dit est-il indispensable au mouvement du dernier Ciel ? Le mouvement de ce Ciel pourrait-il se poursuivre lors même que ce lieu improprement dit n’existerait pas ? Averroès le nierait ; pour lui, l’existence d’une Terre immobile est la condition nécessaire du mouvement du Ciel.

Tel n’est pas l’avis de Buridan[1].

Imaginons que la puissance divine transforme le Monde en un tout homogène et continu ; pour un tel Monde, il n’y aurait plus aucun lieu, ni lieu proprement dit, ni lieu improprement dit ; de même, il n’y aurait plus aucun lieu pour une pierre qui subsisterait seule alors que Dieu aurait anéanti tout le reste du Monde.

Cette sphère homogène et privée de toute espèce de lieu, Dieu pourrait-il encore lui communiquer le mouvement dont l’orbe suprême est actuellement animé ? Averroès le nie ; Jean Duns Scot l’affirme ; Jean Buridan se range à l’avis de Duns Scot. « Je prouve, dit-il[2], que Dieu pourrait imprimer à ce Monde une rotation d’ensemble, en faisant usage de l’un des articles condamnés à Paris. Cet article dit : C’est une erreur de prétendre que Dieu ne pourrait mouvoir le Monde de mouvement rectiligne. Il n’y a pas de raison pour qu’il puisse le mouvoir de mouvement, rectiligne plutôt que de mouvement circulaire. De même qu’il imprime le mouvement diurne à toutes les sphères célestes en même temps

  1. Johannis Buridani Op. laud., in lib. III. quæst. VII : Utrum motus localis est res distincta a loco et ab eo quod localiter movetur.
  2. Jean Buridan, loc. cit., fol. I, col. c.