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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

le mot lieu, comme pour ces noms, il y a un sens premier auquel les autres se rattachent par voie d’attribution.

L’idée de distinguer, en la théorie du lieu, le sens propre et les sens dérivés du mot lieu paraît empruntée à Roger Bacon ; voici comment Jean Buridan use de cette idée[1] :

Il nous est impossible de percevoir, du moins par le sens, qu’un corps se meut de mouvement local, si nous ne percevons que ce corps se comporte différemment, d’un instant à l’autre, par rapport à quelque autre corps, que ce changement consiste en une variation de distance ou en une variation de situation, que les deux corps changent en totalité l’un par rapport à l’autre ou que les parties de l’un se disposent autrement par rapport aux parties de l’autre.

Cette affirmation, d’ailleurs, n’est pas une conclusion philosophique ; c’est un simple jugement de sens commun que tout le monde porte. En outre, de ces deux corps qui, d’un instant à 1’instant suivant, se comportent d’une manière différente l’un par rapport à 1’autre, il nous est impossible de juger avec certitude que celui-ci se meut si nous ne savons par ailleurs que cet autre est immobile ou, du moins, qu’il ne se meut pas de tel mouvement ou avec telle vitesse.

Cela posé, imaginons un corps logé et son lieu proprement du corps logeant ; supposons que ce dernier corps demeure immobile et que nous le sachions ; si, d’instant en instant, nous percevons que le corps logé se comporte différemment par rapport a son lieu, nous disons qu’il se meut de mouvement local ; si, au contraire, nous constatons que le corps logé garde toujours même relation avec le corps logeant, nous disons que le premier corps ne se meut pas localement, qu’il est en repos.

Par voie d’extension, nous disons qu’un objet est le lieu d’un corps ou bien qu’il joue le rôle de lieu par rapport à ce corps, lorsque cet objet sert de terme de comparaison pour apprécier le mouvement ou le repos de ce corps ; lorsque nous disons que ce corps est immobile ou qu’il est en mouvement selon que, d’un instant à 1’autre, il se comporte relativement à cet objet de la même manière ou de manières différentes. Mais le lieu immobile ainsi défini est un lieu improprement dit.

Ces observations font évanouir les objections qui s étaient auparavant présentées.

  1. Jean Buridan, loc. cit., fol. lxix, col. b.