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LE LIEU

faces ultimes. « Imaginons, en effet, que l’orbe de la Lune soit partagé, au moyen de surfaces concentriques, en deux moitiés, ou en trois tiers, ou en cent centièmes, et ainsi de suite ; toujours, parmi ces parties, il y en aura une qui sera la dernière de notre côté et qui touchera notre monde inférieur en touchant la sphère du feu ; ce sera la dernière des deux moitiés, ou le dernier des dix dixièmes, chacune de ces parties est, de notre côté, la surface ultime de l’orbe de la Lune, et il n’y a aucune raison pour que l’une reçoive plutôt que l’autre cette appellation, en sorte que chacune d’entre elles est le lieu propre » du feu.

» Mais une difficulté subsiste[1] : Si toute surface est un corps, pourquoi disons-nous que le lieu est la surface du corps contenant, et non point que le lieu est le corps contenant ? »

Effectivement le lieu propre est un corps ; mais ce n’est pas sous le même rapport qu’il reçoit les noms de lieu et de corps, tandis que c’est sous le même rapport qu’on le nomme lieu et surface.

Une ligne est un corps, mais on donne à ce corps le nom de ligne lorsqu’on le considère comme divisible selon une seule dimension, la longueur, sans tenir aucun compte de sa divisibilité selon les deux autres dimensions, savoir : la largeur et la profondeur. De même, un corps prend le nom de surface lorsqu’on le conçoit comme divisible selon deux dimensions, la longueur et la largeur, sans considérer sa divisibilité selon la troisième dimension. On ne lui donne le nom de corps que lorsqu’il est conçu comme divisible selon trois dimensions, la longueur, la largeur et la profondeur.

Or, le contact entre le corps logeant et le corps logé n’est établi que suivant deux dimensions ; par suite de la mutuelle impénétrabilité de ces corps, la profondeur n’est nullement intéressée en ce contact, en sorte qu’il est légitime de dire qu’il a lieu selon la surface terminale du corps contenu et la surface terminale du corps contenant ; il est juste de dire en ce sens que le lieu proprement dit est constitué par cette dernière surface.

De ce qui précède, il résulte[2] que le terme lieu est au terme surface ce qu’une passion est au sujet qu’elle affecte. Le lieu est défini, comme toute passion doit l’être, par la définition du sujet

  1. Jean Buridan, Op. cit. in lib. IV, quæst. II : Utrum locus sit terminus corporis continentis ; fol. lxviii col. b et c.
  2. Jean Buridan, Op. cit. in lib. IV, quæst. IV : Utrum diffinitio loci sit bona, in qua dicitur : locus est ultimum corporis continentis immobile primum.