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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

» Remarquez donc bien que lieu, considéré au point de vue mathématique, c’est la surface du corps contenant qui est, tout d’abord, immobile prise sans que l’on considère le corps physique auquel appartient cette surface. Lorsque le mathématicien considère la surface aérienne qui vous entoure et vous contient, il ne regarde pas du tout en quel corps elle existe ; il ignore si c’est de l’air ou autre chose ; il considère cette surface séparément, comme si elle était détachée de tout corps physique. Une telle surface est alors immobile ; tous les êtres mathématiques, en effet, sont immobiles, car ils sont séparés par abstraction de la matière sensible et du mouvement… Aussi le lieu, tel que le mathématicien le considère, est-il absolument immobile. La surface aérienne qui vous entoure, lorsqu’on la considère comme séparée de l’air et de tout autre corps, ne change pas lorsque le corps qui vous environne vient à changer… C’est pourquoi le lieu est immobile lorsqu’on le considère à la façon des mathématiciens.

» Au contraire, lorsqu’on le considère à la façon des physiciens, il est mobile ; il joue alors le rôle de récipient (vas) ; le lieu physique, en effet, est considéré comme une surface appartenant à tel ou tel corps ; une telle surface peut fort bien se mouvoir, subjectivement et objectivement, tout comme le corps naturel dont elle fait partie…

» Or, selon le Commentateur, au 13e commentaire du quatrième livre des Physiques, l’étude du lieu est plus mathématique que physique.

» Concluons donc que ce fut-là l’intention de nos ancêtres au sujet de l’immobilité du lieu. Quant à celui qui ne se contentera pas des trois sortes d’immobilité dont nous venons de parler, qu’il cherche autre chose… »

Pour apprécier très exactement l’opinion que Bonet vient d’exposer en dernière place, l’opinion qui réserve l’immobilité au lieu abstrait des mathématiciens, il importe de ne pas oublier quel genre de réalité notre auteur attribue aux concepts de la Mathématique. Il s’est très clairement expliqué à cet égard en un des chapitres de sa Métaphysique[1].

« La séparation des grandeurs, disait-il en ce chapitre, peut s’entendre en trois façons. La première est celle où l’on sépare une grandeur singulière du sujet qui la porte. La seconde est celle où l’on sépare la grandeur universelle des grandeurs singulières.

  1. Nicolai Boneti Metaphysica, lib. VIII, cap. VI ; ms. no 6678, fol. 102, ro et vo ; ms. no 16132, fol. 76, coll. c et d.