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LE LIEU

inquiétés, en effet, de l’immobilité du vase, alors que les anciens ont nié cette immobilité lorsqu ils ont dit que le vase était un lieu mobile ; de l’immobilité du lieu, ils ne se sont pas préoccupés ; aussi ce qu’ils ont dit est-il insuffisant. L’air qui entoure un corps joue le rôle de vase ; aussi est-il fort bien susceptible de se mouvoir ; mais la totalité de l’air est, par son lieu, absolument, immobile, car les lieux [naturels] de tous les éléments sont absolument immobiles. »

Ainsi, selon notre auteur, le problème de l’immobilité du lieu a été l’objet d’un grave malentendu ; ce que la Scolastique chrétienne a nommé lieu, c’est le corps ambiant, c’est le vase ; ce vase n’est aucunement immobile ; Aristote lui attribue formellement la mobilité et les philosophes chrétiens se sont vainement attachés à lui découvrir une immobilité illusoire.

Ce malentendu, Bonet va s’efforcer de le dissiper complètement en posant une distinction[1].

Il y a, selon lui, deux sortes de lieux.

L’un est le lieu du physicien ; c’est un lieu concret, réalisé par le corps contenant et logeant ; c’est proprement un récipient, un vase, et ce vase esl mobile.

L’autre est le lieu du mathématicien ; c’est une surface abstraite, qui n’a aucune réalité hors de notre esprit ; ce lieu purement conçu est le seul qui soit immobile.

Cette doctrine, d’ailleurs, il la donnera comme conforme à l’opinion véritable des anciens.

Voici comment il la formule :

« La dernière affirmation de nos ancêtres au sujet de l’immobilité du lieu est la suivante :

» Il y a deux façons de considérer le lieu ; l’une est mathématique et l’autre physique (naturalis).

» Aristote considérait le lieu au point de vue mathématique, lorsqu’il disait : Le lieu est la surface du corps contenant qui est, tout d’abord, immobile.

» Celui qui considérerait le lieu au point de vue physique, au contraire, le définirait en cette sorte : Le lieu est la surface du corps contenant qui est, tout d’abord, mobile. Le physicien, en effet, en tant que physicien, ne considère pas, à proprement parler, la nature du lieu mais la nature du vase ; et tout lieu, en tant qu’il joue le rôle de vase, est mobile.

  1. Nicolai Boneti Op. laud., lib. VIII, cap. XIII ; ms. no 6678, fol. 183, ro et vo ; ms. no 16182, fol. 144, col. d, et fol, 145, col. a.