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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

la surface ultime du lieu naturel de la Terre. De là, la conclusion suivante : Si, par impossible, l’élément terrestre était anéanti en totalité, l’eau, pour occuper son lieu naturel, ne se mouvrait pas jusqu’au centre du Monde ; elle se mouvrait seulement jusqu’à la surface qui borne le lieu de la Terre ; là, elle demeurerait en suspens, elle resterait naturellement en repos, et b espace qui constitue le lieu naturel de la Terre demeurerait vide.


» Il nous faut exprimer d’une manière analogue au sujet de l’air et du feu ; ils ont, eux aussi, des lieux propres, bornés par en haut ! et par en bas, au delà desquels ils ne se meuvent pas naturellement.

» Il est clair que telle est l’intention d’Aristote et celle de son Commentateur, aux commentaires 41 et 42 du quatrième livre des Physiques. »

Une formule aussi rigoureuse de la théorie du lieu naturel effraye, en général, les Scolastiques ; trop évidemment, elle est inadmissible ; lorsqu’on creuse un trou dans la terre et qu’on y verse de l’eau, on sait bien que l’eau tombe au fond, si avant qu’on ait creusé. La distinction, posée par Aristote, entre les corps absolument graves et les corps relativement graves, la nécessite d éviter le vide, sont invoquées tour à tour pour pallier ce qui, dans la doctrine du lieu naturel, heurterait trop violemment notre quotidienne expérience. Nicolas Bonet ne recourt pas à de tels palliatifs ; ce qu’il veut, c’est mettre à nu la pensée directrice, 1’« intention » d Aristote. En cette circonstance-ci, ne devons-nous pas reconnaître qu’il y ait réussi ?

Or, au gré de notre franciscain, ce lieu naturel de chaque élément, ces deux surfaces sphériques concentriques au Monde et purement conçues qui délimitent ce lieu, c’est là le seul lieu dont Aristote ait entendu affirmer l’immobilité ; cet autre lieu qu’est la partie ultime du corps contenant, il ne l’a jamais regardé comme immobile ; pour le distinguer du lieu naturel abstrait, et immobile, il lui a donné le nom de vase. « C’est par là, en effet, par l’immobilité, que nous distinguons le lieu d’avec le vase ; le vase, selon Aristote et son Commentateur, est un lieu mobile. C’est pour cela que l’eau du fleuve qui environne le bateau n’est pas le lieu de ce bateau ; elle joue le rôle de vase ; c’est le fleuve tout entier qui est appelé lieu du bateau.

» De ce qui vient d’être dit, il apparaît clairement que les philosophes de notre religion (loquentes in nostra lege) n’ont rien dit qui allât à l’intention des anciens ; ils se sont uniquement