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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

absolument immobile, et cela par le sujet même dans lequel elle réside, puisque celui-ci est absolument [immobile], incorruptible et éternel.

» Voilà quelle est la première façon d’assigner un lieu éternel ; et il semble bien que ce soit là ce que signifient les paroles d’Aristote et des philosophes. »

Qu’Aristote se soit proposé, avant tout, de trouver un lieu au premier mobile ; qu’il ait, pour résoudre ce problème, conçu une sphère ultime absolument immobile ; qu’on puisse tirer ces conclusions de ses propres paroles ; ce sont là propositions manifestement fausses. Mais que la théorie du lieu construite par Aristote requière l’existence d un semblable ciel ; qu’empêchée de l’admettre par les autres doctrines du Stagirite, elle demeure incomplète et comme inachevée, c’est ce que Nicolas Bonet eût pu proclamer d’une façon fort légitime.

« Nos ancêtres (progenitores), dit-il, ont une seconde manière d assigner l’immobilité du lieu. » C’est à cette seconde manière qu’il faisait allusion au début du chapitre que nous analysons lorsqu’il écrivait : « Les anciens affirment que le lieu naturel est absolument immobile, le mouvement naturel étant, d’ailleurs, soit centripète, soit centrifuge, soit une rotation autour du centre ; du lieu occupé par violence, ils n’ont pas affirmé cette immobilité, car ils n’ont point supposé que le lieu acquis par violence fût immobile. »

Ce passage semble inspiré de Damascius et de Simplicius. Cependant c’est la théorie du lieu naturel, telle que l’ont donnée Aristote et Averroès, qu’il prétend exposer en ces termes :

« Ils admettent que les lieux des éléments sont, par nature, distincts les uns des autres. La concavité d’un élément est le lieu immobile d’un autre élément : jamais celui-ci ne se meut naturellement au delà de cette surface concave ; l’élément contenant ne peut pas davantage se mouvoir naturellement au delà de la surface convexe de l’élément contenu ; les bornes des divers éléments sont donc immobiles par nature.

» Donnons-en successivement chacun des éléments pour exemple.

» Le centre du Monde est la borne inférieure ; la concavité de 1’orbe de la Lune est la borne supérieure. Les quatre éléments qui sont compris entre ces deux bornes ont des lieux déterminés qui sont absolument immobiles par en haut aussi bien que par en bas.

» Prenons, comme premier exemple, le feu élémentaire. La concavité de 1’orbe de la Lune est absolument immobile ; il est