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LE LIEU

celle-ci : On dit que le lieu est immobile par équivalence, et de l’immobilité qui s’oppose au mouvement local…

» Il est manifeste que cette opinion est présentée avec beaucoup de subtilité ; toutefois, elle n’est pas pleinement satisfaisante. En premier lieu, en effet, on pourrait lui opposer ce qui a été objecté aux autres opinions : Ce lieu qui, pour le moment, demeure unique par équivalence, éprouverait un changement de place si la sphère céleste tout entière se déplaçait en ligne droite…

» Concluons donc que les philosophes qui appartiennent à notre religion (in nostra lege loquentes) n’ont pas assigné d’une manière suffisante ce qu est l’immobilité du lieu. »

« Il nous faut maintenant examiner ce qui concerne l’immobilité du lieu selon la tradition des anciens[1]. »

Au lieu d’épiloguer sur les textes d’Aristote et de ses Commentateurs, notre franciscain va tenter de pénétrer jusqu’au fond même de leur pensée et de ramener au jour le principe essentiel, l’idée directrice qui s’y cache et qu’ils avaient, eux-mêmes, à peine discernée. La tentative est nouvelle et audacieuse : peut-être devrons-nous reconnaître qu’elle a réussi, du moins en grande partie.

« Il vous faut remarquer, dit-il, comment procède Aristote en son livre des Physiques. Sans doute, il y traite du mouvement en général ; mais il y traite tout spécialement du mouvement du premier mobile ; il y démontre les passions de ce mouvement, qu’il est uniforme, régulier, éternel ; il y établit les autres propriétés de ce mouvement. De même prouve-t-il que le temps est une passion de ee mouvement ; car le temps [selon lui], est une propriété [du mouvement] du premier mobile, et non des autres mouvements ; il ne traite pas du temps, d’une manière déterminée, en tant qu’il est passion des autres mouvements.

» Ainsi, conformément à cette méthode, c’est le lieu du premier mobile, et non pas le lieu en général qu’il définit lorsqu’il dit que le lieu est la surface du corps contenant qui est, tout d’abord immobile.

» Le lieu, dis-je, c’est la surface de l’autre ciel contenant, car le premier mobile est contenu par un autre ciel, qui est ailleurs, et dont la surface est absolument immobile, de même que ce ciel est le premier immobile lui-même, c’est-à-dire celui qui touche immédiatement le premier mobile. La surface de ce corps est donc

  1. Nicolai Boneti Op. laud. lib. VIII, cap. XII ; ms. no 6678, fol. 181, vo fol. 182, ro et fol. 183, ro et vo ; ms. no 16132, fol. 143, col. d, et fol. 144, coll. a, b, c et d.