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LE LIEU

VIII
NICOLAS BONET


Walter Burley est un conciliateur ; aux diverses doctrines qu’il compare, il supprime tout ce qui est trop nettement tranchant ; privées de ce que leurs caractères présentaient de saillant, arrondies et émoussées, pour ainsi dire, ces doctrines deviennent moins aisément reconnaissables ; mais en revanche, elles se ressemblent davantage entre elles et, par conséquent, se laissent plus aisément assembler en un système unique.

Les tendances intellectuelles de Nicolas Bonet sont exactement opposées à celles de Walter Burley. En chaque doctrine, Bonet excelle à découvrir les principes qui redoutent de produire leurs conséquences extrêmes ; ces principes, il les presse, il les force à mettre en pleine lumière les corollaires qui se cachaient en une discrète et prudente pénombre, Entre ces mains, les caractères d’une théorie saillent en un relief si accentué que l’auteur même de cette théorie ne consentirait pas toujours à y reconnaître la fille légitime de sa pensée. Par là, entre les diverses doctrines, les contrastes s’accusent ; on comprend mieux qu’il serait impossible d’en tenter la synthèse.

Burley s’est efforcé de concilier, au sujet de la théorie du lieu, les opinions de Duns Scot ou de Guillaume d’Ockam avec celles d’Aristote. Bonet, au contraire, va nous montrer qu’en cette théorie, les anciens et les modernes ont, sans s’en apercevoir, poursuivi la solution de deux problèmes essentiellement différents ; il n’y a pas à les concilier ; leur discussion est un irréductible malentendu.

« Disons donc, écrit notre franciscain[1], de quelle manière le lieu est immobile ; commençons par exposer l’opinion des philosophes modernes ; nous reviendrons ensuite aux anciens. »

C’est, d’abord, l’opinion de Saint Thomas d’Aquin et de Gilles de Rome que nous entendons exposer et réfuter :

« Entre les affirmations relatives à l’immobilité du lieu qui sont objets de discussion parmi les philosophes modernes, la première doctrine est celle-ci : Le lieu est dit immobile par rapport aux pôles du Monde qui sont immobiles ; le rapport du lieu à ces

  1. Nicolai Boneti Physica, lib. VIII, cap. X, Bibl. Nat., ms. no 6678, fol. 180, vo ; ms. no 16132, fol. 143, coll. a et b.