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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

on ne saurait, dans le lieu, distinguer une matière et une forme. Le lieu est une simple forme, semblable à n’importe quelle forme accidentelle telle que la blancheur, le chaud, le froid.

Duns Scot, Jean le Chanoine, Guillaume d’Ockam, ont réduit l’immobilité du lieu à une immobilité par équivalence ; Walter Burley connaît cette théorie et l’expose en ces termes[1] ; « Supposons que je demeure ici, en cette maison de Sorbonne, et qu’un grand vent vienne à souffler autour de moi de manière à renouveler sans cesse l’air qui m’environne ; si toutefois je reste en repos, il est certain que je demeure à une distance de grandeur invariable du Ciel entier, du centre du Monde ou de n’importe quel autre corps immobile ; par exemple, il y a à chaque instant autant de lieues entre l’Angleterre et moi qu’il y en avait auparavant. Par conséquent, le lieu dans lequel je me trouve ne demeure pas le même numériquement ; mais ce lieu demeure le même par équivalence en ce qui concerne la distance aux choses immobiles ; il équivaut à un lieu unique lorsqu’il s’agit de produire ou de repérer un mouvement. Ainsi, lorsque le corps logé demeure immobile, ou bien son lieu demeure numériquement le même, ou bien il est remplacé par un lieu équivalent par sa distance aux autres objets immobiles, équivalent aussi pour tout mouvement, local qui commence ou qui continue. »

Walter Burley déclare remettre à une autre circonstance l’examen du sens qu’il convient d’attribuer à cette théorie, et il revient[2] à la question de l’immobilité proprement dite du lieu.

Rien n’est mobile de soi que les corps ; Walter Burley, qui a refusé à Guillaume d’Ockam de regarder le lieu comme un corps, lui refuse aussi cette proposition : le lieu est mobile de soi (per se). En revanche, il lui accorde que le lieu est mobile par accident, c’est-à-dire par suite du mouvement de certains corps ; le lieu d’un corps est la surface de la matière qui environne ce corps ; il se meut donc lorsque cette matière se meut.

Cette proposition conduit à des conséquences qui scandalisent. Un corps peut changer de lieu sans se mouvoir, il peut se mouvoir tout en gardant le même lieu. Ce scandale provient d’une confusion[3]. On regarde le lieu comme le terme du mouvement local ; cela n’est pas ; le mouvement local n’est pas un changement de lieu, mais un changement d’ubi. Aussi est-il parfaitement exact, qu’un corps ne peut changer d’ubi sans se mouvoir, qu’il ne peut

  1. Walter Burley, loc. cit., fol. 88, col. a.
  2. Walter Burley, loc. cit., fol. 89, recto.
  3. Walter Burley, loc. cit., fol. 89, col. a. col. b et c.