Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VII.djvu/258

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
251
LE LIEU

qui est la surface du corps contenant, se meut en meme temps que ce corps ; la forme, au contraire, demeure immobile lorsque le corps contenu ne se meut pas, car elle est la distance de cette même surface à 1’orbite suprême, ou bien encore aux pôles et au centre du Monde.

« D’autres » — c’est à Saint Thomas d’Aquin que Burley fait maintenant allusion — « d’autres disent, et cela revient à peu près au même, que la partie ultime du contenant ne possède point de ratio loci, sinon en vertu de l’ordre et de la position qu’elle occupe par rapport à la sphère céleste. »

À ces théories, Walter Burley objecte les raisons que Jean le Chanoine et Guillaume d’Ockam leur ont déjà opposées ; il élève aussi contre elles un nouvel argument :

« Imaginons qu’un corps demeure immobile au milieu de l’air, par exemple, et supposons que la puissance divine impose au Ciel entier et à l’ensemble des éléments un mouvement rectiligne vers l’Orient ; la partie de lUnivers qui se trouvait à l’Occident du corps se rapproche de lui ; la partie qui se trouvait vers l’Orient s’en éloigne ; un des pôles du Monde devient plus voisin et l’autre moins voisin de ce même corps[1] ; la distance de ce corps au centre du Monde est devenue plus petite ou plus grande quelle n’était. Or, comme ce corps est demeuré immobile, il faut qu’il soit resté dans le même lieu, que, par conséquent, le lieu de ce corps soit demeuré invariable. Cependant, la situation de ce lieu dans 1’Univers, sa distance aux pôles et au centre, ne sont pas demeurées identiques ; cette situation, cette distance aux pôles et au centre, ne sont donc pas l’élément formel du lieu. »

Prétendre que Dieu peut donner à l’Univers un mouvement d’ensemble, c’était, pour la Philosophie péripatéticienne, affirmer une absurdité. La condamnation portée en 1277 par les théologiens de la Sorbonne a accoutumé les esprits à regarder cette même proposition comme une vérité. Aussi avons-nous vu Gilles de Rome insinuer et Guillaume d Ockam affirmer que toute théorie du lieu où le centre de l’Univers est regardé comme immobile devait explicitement indiquer ce postulat. Walter Burley nous montre comment, en effet, le refus de ce postulat rendrait absurdes les doctrines par lesquelles Saint Thomas d’Aquin et Gilles de Rome ont tenté de sauver l’immobilité du lieu.

Ces doctrines pèchent par la base même. Selon Walter Burley[2],

  1. Cette proposition n’est pas exacte ; Burley aurait dû supposer que le mouvement d’ensemble de l’Univers est orienté vers le nord ou vers le sud.
  2. Walter Burley, loc. cit. fol. 87, col. 87, col. c, et fol. 89, fol. a.