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LE LIEU

la quatre-vingtième question[1] : « La huitième sphère se meut-elle de mouvement proprement dit ? »

« Ce dont on doute, dit Ockam, c’est ceci : Comment cette sphère peut-elle se mouvoir d’un mouvement de rotation proprement dit (per se) alors qu’elle n’est point en un lieu proprement dit ?

» On peut donner cette première réponse : Ce Ciel se meut de mouvement proprement dit, parce qu’à l’égard des diverses parties de la Terre immobile, chacune de ses parties n’a pas maintenant la même distance qu’auparavant ; et, pour cette sphère, se mouvoir de mouvement proprement dit, c’est cela même.

» Mais si l’on objecte que la Terre se meut ? Si dicatur quod terra movetur ? — Je réponds : Si l’on admet cette supposition, alors, de fait, le Ciel ne se meut plus autour d’une chose immobile ; mais on ne dira pas pour cela qu’il ne se meut pas, s’il se meut ; il se comporte, en effet, de telle façon que s’il y avait au milieu une chose immobile, ses diverses parties auraient des distances continuellement variables à telle partie de la Terre, [c’est-à-dire de cette chose immobile].

» D’une autre façon, on peut dire que le Ciel se meut de mouvement proprement dit, parce que s’il existait quelque corps immobile qui l’entourât continuellement, chacune des diverses parties du Ciel aurait une distance variable à chacune des parties de ce corps immobile, et cela, c’est se mouvoir de mouvement proprement dit.

» Peut-être direz-vous : le Ciel se meut de mouvement local proprement dit ; donc il acquiert quelque lieu. Je réponds : Votre raisonnement ne vaut pas. En effet, il en est de même, jusqu’à un certain point, du mouvement du Ciel et du mouvement d’un vase plein d’eau, comme nous l’avons dit précédemment. En effet, le vase se meut de mouvement local proprement dit, aussi bien par les diverses parties de sa concavité que par les diverses parties de sa convexité ; il ne se meut point cependant en vue d’acquérir un lieu nouveau par ces parties là, mais il se meut de mouvement local, par ces parties, pour devenir le lieu d’un autre contenu. De même le Ciel ne se meut pas de mouvement local pour acquérir un lieu nouveau qui le contienne ou qui contienne ses parties ; il se meut en vue de devenir le lieu d’une chose immobile différente, quand il y a une chose immobile, comme il en est de fait à présent ; ou bien, s’il n’y a rien d’immobile, il suffit qu’il se meuve

  1. Questiones magistri Guglielmi de Ockam super librum phisicorum ; quæst. LXXX ; Utrum octava spera moveatur per se (Bibliothèque Nationale, fonds latin, nouv. acq., ms. no 1139, fol. 14, col. d).