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LE LIEU

du mouvement local, afin que par tout mouvement local, quelque chose se trouve acquis ou perdu. Mais, à cette intention, il ne faut pas l’admettre, car la sphère ultime se meut de mouvement local, et cependant elle n’acquiert point un nouvel ubi, car il n’existe aucun corps, circonscrit à la huitième sphère, qui puisse servir de terme à ce rapport.

» Peut-être direz-vous que la sphère ultime a, avec le centre, un rapport variable, car la Terre demeure immobile au centre, en sorte que c’est autour d’elle que se meut la sphère ultime.

» Je réponds qu’au contraire, on déduit de là notre proposition, que le mouvement local peut avoir lieu sans acquisition d’un tel ubi, car il est manifeste que le Ciel n’est pas en la Terre comme en un lieu, en sorte qu’il n’y a pas là un tel ubi.

» En outre, si le Ciel tout entier était continu avec son contenu, de façon à faire avec lui un seul et même corps, Dieu pourrait encore mouvoir ce corps d’un mouvement de rotation ; et cependant, il n’y aurait plus rien qui demeurât en repos.

» Enfin, si Dieu faisait un corps dénué de tout lieu, il pourrait encore mouvoir ce corps ; et cependant, rien alors ne demeurerait en repos et aucun ubi ne se trouverait acquis…

» Direz-vous qu’en tout mouvement, quelque chose est acquis par le mobile ? Je réponds en niant cette proposition ; il suffit qu’un lieu soit acquis ou perdu ; or le mobile n’est pas le sujet de ce lieu ; et c’est là le caractère spécial du mouvement local.

» Direz-vous qu’un lieu ne peut être acquis par une chose s’il n’informe cette chose ? Je nie encore cette proposition. Dire qu’une chose acquiert un lieu, c’est dire simplement qu’il advient par l’effet du mouvement local que rien ne soit interposé entre ce corps logé et ce lieu. Parfois, d’ailleurs, le mouvement local peut avoir lieu sans qu’il y ait acquisition de quoi que ce soit qui informe ou n’informe pas le mobile ; ceci suffit : Un lieu serait acquis s’il existait un corps environnant. Nous en avons un exemple en la sphère ultime du fait qu’elle se meut de mouvement local, elle n’acquiert rien du tout ; toutefois, s’il y avait quelque lieu immobile qui entourât cette sphère, elle acquerrait un lieu ; mais, en fait, elle n’acquiert à nouveau aucun lieu ; on dit, cependant, qu’elle se meut de mouvement local. »

Souvenirs du décret d’Étienne Tempier et souvenirs de l’enseignement même de Duns Scot se reconnaissent dans les arguments que Guillaume d’Ockam oppose à la théorie scotiste de l’ubi. Mais dans la conclusion, dans la réponse que le Venerabilis Inceptor donne à l’énigme proposée par le Docteur Subtil, ce qu’il nous faut