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LE LIEU

Venerabilis Inceptor vient en aide aux doctrines qu’ont voulu défendre les théologiens de la Sorbonne sous la présidence d’Étienne Tempier : Philosophia ancilla Theologiæ.

Dans l’édifice élevé par Aristote et par le Commentateur, nous venons de reconnaître une première lézarde, indice de ruine prochaine : nous allons en découvrir une seconde, plus large et plus profonde.

Le passage des Summulæ que nous citions tout à l’heure continue en ces termes : « Le centre du Monde est dit immobile par équivalence, mais en réalité il est mobile, bien que la Terre n’éprouve jamais de mouvement d’ensemble. Remarquez que les lieux que désignent les mots en haut, en bas, sont marqués par comparaison avec le centre. Pour cette distinction des lieux en lieux hauts et lieux bas, peu importe l’immobilité d’un centre indivisible qu’imaginent certains physiciens… Il importe seulement que ce centre ne soit pas animé d’un mouvement de translation. »

Ainsi le centre du Monde, c’est le point géométrique qui se trouve à égale distance de toutes les parties de la surface céleste ; pourvu que le Ciel n’ait d’autre mouvement qu’un mouvement de rotation, nous sommes assurés qu’il est toujours identique à lui-même par équivalence, et cela, lors même que le corps au sein duquel il se trouve à chaque instant réalisé serait mobile. La Terre ne subit pas de déplacement d’ensemble ; elle pourrait en éprouver ; certains contemporains de Guillaume d’Ockam soutiennent qu’elle tourne sur elle-même en vingt-quatre heures ; d’autres lui attribuent de petits mouvements incessants auxquels Albert de Saxe donnera bientôt une grande importance ; selon ces physiciens, la partie de la Terre qui contient le centre du monde change d’instant en instant ; en réalité, ce centre se meut, mais le nouveau centre est, par rapport à la sphère céleste, dans une position équivalente à celle qu’occupait l’ancien ; le centre du Monde demeure le même par équivalence.

Ni Aristote, ni Averroès ne se seraient contentés, pour le centre du Monde, de cette immobilité par équivalence ; selon eux, les révolutions des corps célestes supposaient un centre qui fût réellement immobile, et pour que ce point demeurât réellement immobile, il fallait qu’il se trouvât en un corps privé de tout mouvement ; ainsi, la rotation du Ciel requérait l’existence d’une Terre absolument fixe.

Cet argument, qu’Ockam a soin de rappeler, devient caduc dès là qu’une immobilité par équivalence suffit au centre des révolu-