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LE LIEU

l’autre, que le centre du Monde est dit immobile par équivalence. »

L’inadvertance que nous venons de signaler dans l’exposé d’Ockam est d’ailleurs corrigée dans les Questions sur le livre des Physiques composées par le même auteur. La plus grande précision de ces Quæstiones sur ce point et sur plusieurs autres nous induit à penser qu’elles sont postérieures aux Summulæ.

Parmi les Questions sur le livre des Physiques, la soixante-dix-septième est ainsi libellée[1] : « Quand autour d’un corps en repos, le corps qui l’environne se meut continuellement, le lieu du premier corps demeure-t-il numériquement un ? » Voici la réponse :

« Quand, autour d’un corps en repos, le corps qui l’environne se meut continuellement, ce corps immobile est en un lieu sans cesse différent ; en effet, comme nous l’avons montré, c’est ce corps environnant qui est le lieu ; or ce corps environnant change sans cesse ; le lieu, lui aussi, change donc, sans cesse.

» Toutefois, pour me conformer à l’intention du Philosophe (pro intentione Philosophi), voici ce que je dis : Il est vrai, sans doute, que le lieu change numériquement sans cesse ; mais le lieu est unique par équivalence ; en effet, pour sauver le repos de ce corps et tout ce qui se dit du lieu et du corps logé, ces lieux distincts valent autant que s’ils étaient un lieu unique par équivalence. — Tantum valent ista lova, distincta esse unum secundum equivalentiam. »

Ockam met donc formellement au compte d’Aristote la notion scotiste du lieu équivalent.

C’est à l’aide de cette notion qu’il va répondre à la soixante-dix-huitième question[2] : « Le lieu est-il immobile ? »

« En cette question, dit-il, je pose deux conclusions :

» La première, c’est qu’au pied de la lettre (de virtute sermonis), on doit accorder la vérité de cette proposition : Le lieu est mobile. En effet, toute substance qui se rencontre parmi les créatures d’ici-bas, que ce soit une matière, une forme ou un composé de matière et de forme, est mobile d’une façon ou d’une autre ; quant à un accident, comme le sujet qu’il affecte est mobile, il est, lui aussi, mobile de mouvement propre ou par entraînement (per se vel per accidens). Je dis donc purement et simplement, et selon la vérité réelle, que le lieu est mobile.

  1. Questiones magistri Guglelmi de Okam super librum phisicorum ; quæst. LXXVII : Utrum sit idem locus numero corporis continue quiescentis quando corpus circumstans continue movetur circa illud. (Bibliothèque Nationale, fonds latin, nouv. acq., ms. no 1139, fol. 14, col. c).
  2. Guglelmi de Okam Op. laud., quæst. LXXVIII : Utrum locus sit immobilis. Ms cit., loc. cit.