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LE LIEU

ait donnée, Ockam est logiquement conduit à cette conséquence : le lieu est mobile.

Naturellement, il rejette la théorie de Gilles de Rome, dont il reproduit textuellement[1] les passages essentiels.

L’ordre et la situation dans l’Univers que Gilles de Rome nomme lieu formel, c’est l’ordre et la situation du contenant et non du contenu ; s’il en était autrement, on contredirait Aristote, pour qui le lieu doit être attribué au corps contenant et non pas au corps contenu. Ce principe posé, qui écarte la théorie de Pierre Auriol, comment le lieu formel demeurerait-il immobile, alors que le contenant, qui est le lieu matériel, se déplace ?

Lorsque le corps contenu ne se meut point, sa distance aux parties fixes de l’Univers ne change pas ; mais ce n’est pas cette distance-là qui constitue le lieu formel ; pour constituer ce lieu, il faut considérer la distance aux repères fixes des parties du contenant qui environnent le contenu ; et ces parties peuvent se mouvoir alors même que le corps contenu ne se mouvrait pas.

Incidemment, comme Jean le Chanoine, et dans les mêmes termes que lui, Ockam attaque cette immobilité du centre et des pôles du Monde à laquelle Saint Thomas d’Aquin a voulu rattacher l’immobilité du lieu.

« Ce qu’on dit de l’immobilité des pôles et du centre procède d’une fausse imagination, à savoir qu’il existe, dans le Ciel, des pôles immobiles et, dans la Terre, un centre immobile. Cela est impossible. Lorsque le sujet est animé de mouvement local, si l’attribut demeure numériquement un, il se meut de mouvement local. Mais le sujet de l’accident que sont les pôles, c’est-à-dire la substance du Ciel, se meut de mouvement local ; ou bien donc les pôles seront incessamment remplacés par d’autres pôles numériquement distincts des premiers, ou bien ils seront en mouvement. »

« Peut-être dira-t-on que le pôle, qui est un point indivisible, n’est pas une partie du Ciel, car le Ciel est un continu, et les continus ne se composent pas d’indivisibles. »

« Mais si le pôle existe, et s’il n’est pas une partie du Ciel, c’est donc quelque substance corporelle ou incorporelle. Si elle est corporelle, elles divisible en non pas indivisible. Si elle est incorporelle, elle est de nature intellectuelle, et l’on arrive à cette conclusion ridicule que le pôle du Ciel est une intelligence. »

Ni le lieu matériel, ni le lieu formel ne sont donc immobiles ; la

  1. Guillaume d’Ockam loc. cit.