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LE LIEU

contenant en deux autres corps dont l’un, emboîté dans l’autre, enferme à son tour le corps contenu. Cette partie du contenant qui est emboîtée dans l’autre partie constitue le lieu du corps contenu.

Par une opération toute semblable, on peut de nouveau séparer ce lieu en deux enceintes emboîtées l’une dans l’autre ; celle de ces enceintes qui est intérieure à l’autre sera maintenant le lieu du corps contenu.

On pourra procéder indéfiniment de la même manière ; on donnera pour lieu au corps contenu une couche de plus en plus mince empruntée au corps contenant ; chacun de ces lieux sera une partie du lieu précédent ; chacun d’eux sera un corps, et non pas une simple surface.

On voit que le langage mathématique moderne permettrait d’exprimer avec une grande exactitude l’opinion qu’Ockam professe au sujet du lieu : Le lieu, dirait-on, est une couche infiniment mince empruntée au corps contenant et partout contiguë au corps contenu.

Cette même proposition, Guillaume d’Ockam la reprenait en une de ses discussions quodlibétiques[1] et pour la formuler et l’expliquer, il faisait appel à toute cette rigoureuse précision que l’École de Paris allait apporter, grâce à lui, en toute discussion relative à l’infini.

« Le lieu, disait-il, alors, est ce qu’il y a d’ultime dans le contenant, c’est-à-dire la partie ultime du corps contenant. Ce n’est pas qu’il existe une certaine partie ultime qui soit, en sa totalité, distincte des autres parties. Je nomme partie ultime toute partie qui s’étend jusqu’au corps logé, qui touche le corps logé dans le lieu ; selon cette manière de parler, la partie ultime a, elle-même, une multitude de parties qui ne touchent pas le corps logé.

» Mais, direz-vous, je prends la partie ultime, celle qui, tout d’abord, est dite lieu ; celle-là n’a pas certaines parties qui touchent le corps logé et d’autres qui ne le touchent pas ; sinon, ce n’est pas cette partie, mais une partie de cette partie, qui recevrait tout d’abord le nom de lieu.

» Je réponds qu’il faut distinguer au sujet de la partie ultime.

» D’une première manière, on nomme partie ultime toute partie qui s’étend jusqu’au corps logé et qui touche immédiatement le corps contenu dans le lieu ; en ce sens, il y a une infinité de

  1. Quodlibeta septem Venerabilis inceptoris fratris Guilhelmi de Ockam ; quodlib, I, quæst. IV.