Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VII.djvu/241

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
234
LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

la forme, peuvent se corrompre par suite de la corruption des corps intermédiaires ; il admet, en outre, contrairement à l’opinion de Jean le Chanoine, que le mouvement local de ces corps entraîne comme conséquence le mouvement local du lieu. Seulement, autour d’un corps immobile, les lieux qui se succèdent les uns aux autres ont, les uns par rapport aux autres, une certaine relation d’équivalence (æquipollentia) ; « le lieu suivant équivaut au lieu précédent au point de vue du mouvement local : on peut combiner chacun d’eux à un même troisième lieu et l’un fournira le même terme que l’autre au mouvement local dirigé vers ce troisième lieu ; … selon une même droite issue de l’un ou de l’autre de ces lieux et dirigée vers un même troisième lieu, le mouvement local est le même. »

Cette équivalence, par rapport à quoi l’appréciera-t-on ? Jean le Chanoine la fait consister en une disposition semblable par rapport au centre et aux pôles du Monde ; mais en son argumentation contre Gilles de Rome, il a nié l’immobilité de ce centre et de ces pôles, en sorte qe sa théorie semble tourner en un cercle vicieux.

Jean de Bassols rompt ce cercle. Les pôles réels du Ciel, le centre réel du Monde sont des corps susceptibles de mouvement ; on ne peut, par rapport à ces repères mobiles, apprécier l’équivalence réelle de deux lieux ou, si l’on préfère, l’immobilité d’un lieu ; mais l’immobilité et l’équivalence dont on parle ici sont une immobilité, une équivalence purement fictives rapportées à un centre et à des pôles qui existent seulement en l’imagination du géomètre. « Le mathématicien, en effet, en vue de l’exposition de la Science, et sans prétendre qu’il en soit ainsi dans la réalité, imagine une ligne menée d’une partie du Ciel à une autre et passant par le centre du Monde, qui est lui-même un point imaginé ; cette ligne, terminée de part et d’autre au Ciel, reçoit le nom d’axe du Monde ; ses extrémités ou, en d’autres termes, les points qui la terminent sont nommés pôles, et ce sont simplement des points que l’on imagine dans le Ciel ; c’est par rapport à de tels pôles et à un tel centre que le lieu est dit immobile, d’une immobilité imaginaire et non point d’une immobilité réelle ; en réalité, ce lieu est corruptible et mobile, mais les lieux qui se succèdent gardent cependant entre eux une certaine équivalence. »

Lors donc qu’un corps demeure en repos, le lieu de ce corps se trouve, à partir de certains repères, à des distances dont la valeur demeure toujours la même ; ces repères n’ont aucune réalité et n’existent pas hors de l’imagination du géomètre ; telle est l’opi-