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LE LIEU

Reproduisons ici ce qu’en cette courte question dit le fidèle disciple du Docteur Subtil[1].

« Les divers philosophes et commentateurs ont tenu des propos divers, car ils voulaient sauver cette proposition : Le ciel ultime n’a pas de lieu propre, mais, cependant, il est en un lieu d’une certaine manière. Certains auteurs, tel Averroès, ont dit que le ciel ultime était en un lieu selon son centre ; d’autres, comme Thémitius, qu’il en était en un lieu par ses parties ; d’autres encore, qu’il était logé par sa surface terminale. Cette question regarde plutôt le quatrième livre des Physiques.

« Quoi qu’il en soit des opinions de ces philosophes, je tiens pour certain qu’à proprement parler, le ciel ultime n’est en aucun lieu, et cela par la raison que donne l’Auteur des Six Principes. En effet, tout ce qui est en un lieu est entouré par quelque corps qui se trouve hors de l’objet logé, qui en est distinct et séparé, comme le montre le quatrième livre des Physiques ; mais il n’existe aucun corps hors du ciel ultime, sinon il ne serait plus le ciel ultime.

« Il faut remarquer ici que les corps de l’Univers sont ordonnés les uns par rapport aux autres de telle sorte qu’ils soient localement contenants et contenus ; la terre est contenue par l’eau, l’eau par l’air, l’air par le feu, le feu par l’orbe de la Lune, l’orbe de la Lune par un autre orbe, et ainsi de suite jusqu’à lorbe suprême. De même donc que l’on peut, sans inconvénient, au sein de l’Univers, donner un corps, la terre, qui est contenu mais qui n’est le lieu d’aucun autre corps et ne contient rien, de même on peut, sans inconvénient, donner un corps qui joue le rôle de lieu contenant un autre corps, mais qui n’est en aucun lieu et n’est contenu par aucun corps ; tel est l’orbe suprême ou le ciel ultime, que ce ciel soit le premier mobile, comme le prétendent les philosophes, on que ce soit le ciel Empyrée immobile, selon l’opinion des théologiens et selon la vérité ; en ce ciel Empyrée est le lieu des bienheureux : au delà, il n’y a plus ni lieu, ni mouvement, ni temps, comme le dit Aristote au second livre Du Ciel et du Monde. »

Jean le Chanoine, lui aussi, refusait tout lieu à l’orbite suprême ; mais, fidèle interprète de la pensée de Duns Scot, il lui attribuait un ubi ; Antonio Andrès ne dit pas un mot de cet ubi. Il y a plus ; au cours des trois questions[2] que lui suggère ce

  1. Questiones clarissimi doctoris Antonii Andree super sex pricipiis Gilberti Porrelani. Quæstio VIII : Utrum ultimum cælum sit in loco ; éd. cit., fol. 60, col. d.
  2. Antonio d’Andrès, Op. cit., quæst. XII, XIII et XIV ; éd. cit., fol. 60.