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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

Un pieu est fiché dans le lit d’un fleuve ; l’eau qui baigne ce pieu s’écoule sans cesse. À un certain instant, le volume rempli par le bois du pieu est entouré par certaines parties de l’eau ; ces parties forment, à cet instant, le lieu propre du pieu. Un peu plus tard, ces mêmes parties se trouvent en aval du pieu ; elles ne circonscrivent plus aucun corps étranger ; elles sont devenues contiguës les unes aux autres ; elles ne sont plus le lieu de rien ; le lieu qu’elles formaient a péri. Pendant ce temps, d’autres parties de l’eau courante sont venues entourer le pieu immobile ; en elles, un lieu qui n’existait pas au préalable a pris naissance.

Ces deux lieux sont réellement distincts, encore qu’ils aient même disposition par rapport au centre du Monde et à ses pôles, ce qui les rend équivalents. Et que l’on n’aille pas prétendre que ces deux lieux ne sont qu’un même lieu formel ; on l’a déjà dit : Là où le sujet varie, l’attribut ne peut demeurer identique à lui-même

Mais contre une semblable doctrine, « la foule va se récrier ; car enfin, personne n’oserait prétendre que cette maison change de lieu parce que le vent souffle… N’ayons souci de la foule lorsque la raison est contre elle ; en cette matière, la foule est peu compétente. Ne nous arrêtons pas à l’opinion de ceux qui prétendent qu’un corps demeure au même lieu lorsque le contenant change : c’est une idée de gens bien vieillots — imaginatio vetulorum. »

Si nous exceptons François de Mayronnes, dont la théorie nous occupera plus loin, tous les Scotistes semblent avoir embrassé cette opinion que le lieu d’un corps immobile n’est pas immuable, si ce n’est par équivalence. Certains d’entre eux admettent cette doctrine, alors même que sur d’autres points, ils délaissent la théorie du lieu proposée par Duns Scot ; tel Antonio d’Andrès.

Parmi les nombreux écrits d’Antonio d’Andrès se trouve un Commentaire au Traité des six principes de Gilbert de la Porrée[1].

Cet écrit d’Antonio d’Andrès intéresse presque exclusivement l’étude des catégories ; toutefois, une des questions consacrées à l’étude du prédicament ubi traite du célèbre problème qui a pour objet le lieu de l’orbe suprême.

  1. Questiones Scoti super Universalia Porphyrii necnon Aristotelis prédicamenta ac Peryarmenias. Item super libros Elenchorum. Et Antonii Andree super libro Sex principiorum. Item questione Joannis Angelici (sic) super questiones universales ejusdem Scott. Colophon : Expliciunt questiones Doctoris subtilis Joannis Scoti super universalia Porphyrii : et Aristotelis predicamenta : et peryarmenias : ac elenchorum necnon discipuli ejus Antonii Andree super libro sex principiorum Gilberti porretani : studiosissime correcte per Reverendissimum patrem magistrum Mauritium de portu Hibernicum archiepiscopum Tumanensem ordinis minorum. Impresse Venetiis per Philippum pincium Mantuanum Anno domini 1512. die 9 Augusti.