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LE LIEU

vement local en vertu duquel le corps, logé par ce lieu, se meut vers lui ; la raison en est que le lieu est le terme de la dépendance qu’à son propre égard, possède le corps logé. Si le lieu se mouvait ou s’il était susceptible de se mouvoir du mouvement même par lequel le corps logé se meut vers lui, alors ce lieu ne pourrait servir de terme à la dépendance du corps logé ; le corps logé ne pourrait être fixé dans ce lieu, borné par ce lieu. Mais bien que le lieu doive être immobile de cette façon, il n’est pas tenu d’être immobile universellement et de toute manière. Quand bien même il se mouvrait de quelque façon, pourvu qu’il ne se mût point du mouvement même par lequel le corps logé marche vers lui, il pourrait encore servir de terme à la dépendance du corps logé à son égard.

» Exemple : L’orbe de la Lune est le lieu du feu ; il se meut, cependant d’un mouvement de rotation ; mais il est immobile de l’immobilité opposée au mouvement rectiligne dont se meut le corps qu’il loge, c’est-à-dire le feu ; si l’orbe de la Lune se mouvait de mouvement rectiligne, il ne pourrait être le lieu du feu. »

Jean le Chanoine ne regarde pas[1] cette réponse comme satisfaisante ; valable pour l’objection tirée du mouvement de l’orbe de la Lune, elle ne l’est plus pour d’autres objections analogues ; ainsi l’orbite suprême est regardée comme le lieu des orbites inférieures ; et cependant, comme ces dernières, elle se meut d’un mouvement de révolution.

À ce propos, François de La Marche et Jean le Chanoine proposent une distinction qui n’est nullement une solution ; cette distinction est empruntée, d’ailleurs, à l’opuscule Sur la nature du lieu que l’on attribue à Thomas d’Aquin ; la voici : Il est des lieux parfaits qui, non seulement, entourent le corps logé, mais encore le soutiennent par les pressions qu’ils exercent sur lui ; ces lieux-là sont tout à fait immobiles ou, du moins, ont l’immobilité opposée au mouvement local du corps qu’ils circonscrivent. Il est, d’autre part, des lieux imparfaits qui circonscrivent le corps contenu sans l’appuyer ; de ce nombre sont les lieux des orbes célestes, car ces orbes n’ont nul besoin de soutien pour demeurer à leur place ; ces lieux-là peuvent se dispenser de satisfaire à la condition formulée par François de La Marche.

À l’imitation de Simplicius, à l’imitation de son maître Duns Scot, Jean le Chanoine admet[2] pleinement que le lieu peut s’engendrer et périr.

  1. Joannis Canonici op. laud., lib. IV, quæst. II.
  2. Joannis Canonici Quæstiones in VIII libros Physicorum ; lib ; IV, quæst. I.