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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

» En second lieu, je dis qu’il y a deux sortes de mouvements locaux. Il y a un mouvement local qui a l’ubi passif ; c’est de ce mouvement-là qu’un corps logé et contenu dans un lieu se meut dans ce lieu. Un autre mouvement local a l’ubi actif pour terme : ce mouvement-ci, c’est celui dont un corps logeant se meut, non point dans un lieu, mais autour de son lieu.

» Répondant alors à la question proposée, je dis : Le mouvement du premier mobile ne va pas à l’ubi passif, puisque ce mobile n’est pas contenu en un lieu ; ce mouvement marche à l’ubi actif ; le premier mobile ne se meut pas dans un lieu, mais autour d’un lieu. »

Dans cette théorie, qui avait ravi l’acquiescement de Jean le Chanoine, on peut démêler un curieux concours de pensées suggérées par Duns Scot et de pensées suggérées par Guillaume d’Ockham.

Nous entendrons bientôt Guillaume d’Ockham enseigner qu’un corps peut se mouvoir de mouvement local de deux manières différentes, soit qu’il se meuve en vue d’acquérir un nouveau lieu au sein duquel il soit contenu, soit pour devenir le lieu d’un nouveau corps logé. Le Venerabilis Inceptor nous dira que le Ciel se meut de mouvement local de cette façon-ci, non de celle-là. Il se gardera bien de dire que le premier mouvement tend à l’uni passif et le second à l’uni actif, car il éprouve, pour la notion d’ubi, une véritable horreur ; il la bannit impitoyablement de toute sa Physique. Mais qu’un Scotiste, confiant dans la réalité de l’uni, se propose de définir la distinction qu’Ockam a posée entre les deux sortes de mouvements locaux ; il s’exprimera tout juste comme François de La Marche.

Cette influence d Ockham sur François ne nous doit point surprendre ; nous savons qu’elle s’était également exercée dans le domaine théologique, et qu’elle avait rendu le franciscain d’Ascoli solidaire des erreurs du franciscain anglais.

Après avoir exposé sa doctrine, François s’efforce de dissiper les doutes qui peuvent encore demeurer dans l’esprit. Il en est un dont il remarque fort justement qu’il se dresse aussi bien contre les théories différentes de la sienne ; c’est celui-ci : le lieu d’un corps doit être la partie ultime d’un contenant immobile. Cependant, la concavité de l’orbe de la Lune n’est-elle pas, de l’avis unanime, le lieu du feu, et l’orbe de la Lune ne se meut-il pas ? À cette difficulté, voici ce que répond notre franciscain[1] :

« Le lieu doit être immobile d’une immobilité opposée au mou-

  1. François de la Marche, loc. cit.