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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

Saint Thomas d’Aquin, de Pierre Auriol ou de Gilles de Rome, ils s’entendaient moins aisément lorsqu’il s’agissait d’interpréter les subtiles doctrines de leur maître.

Ils reconnaissent tous que la surface est la matière et le support du lieu, mais que le lieu n’est pas simplement identique à la surface ; tous veulent que le lieu soit une certaine entité actuelle ayant son fondement en la surface qui sépare le contenant du contenu. « Mais quelle est la nature de cette entité ? C’est aujourd’hui, dit Jean le Chanoine[1], chose douteuse pour beaucoup de philosophes. »

Les uns s’en tiennent à peu près textuellement à l’avis explicitement exprimé par Duns Scot : cette entité qui s’ajoute à la surface pour constituer le lieu, c’est l’action par laquelle le contenant circonscrit le contenu, ou un rapport dérivant de cette action. À cette action qui constitue le lieu, s’oppose l’opération passive qui, selon la définition de l’Auteur des Six Principes, constitue l’ubi. Pour mieux marquer cette opposition, Jean le Chanoine va jusqu’à nommer[2] ubi passivum l’ubi considéré par Gilbert de la Porrée et par Duns Scot, tandis qu’il propose de donner au lieu le nom d’ubi activum, Le mouvement local de la plupart des corps est alors un mouvement dont les deux termes appartiennent à l’espèce de l’ubi passif, tandis que les termes du mouvement de l’orbite suprême se rangent dans la catégorie de l’ubi actif.

D’autres[3] ne croient pas que l’opération par laquelle le contenant circonscrit le contenu soit cette entité qui constitue le lieu ; elle n’en est, croient-ils, qu’un attribut. Quant à l’essence même de cette entité, elle nous demeure inconnue.

La distinction entre l’ubi activum et l’ubi passivum était empruntée par Jean le Chanoine à un franciscain qu’il cite dans chacune de ses deux questions relatives au lieu[4], et dont, ici comme dans d’autres endroits, il s’est, fréquemment inspiré ; nous avons nommé François de La Marche.

Dans son commentaire aux Sentences. François de La Marche discute[5] longuement cette question : « Le premier mobile ou la sphère ultime se trouve-t-il en un lieu ? » Cette discussion mérite

  1. Jean le Chanoine, loc. cit.
  2. Joannis Canonici Op. laud., lib. IV, quæst. II.
  3. Joannis Canonici Op. laud., lib. IV, quæst. I.
  4. Joannis Canonici Op. laud., lib. IV, quæst. I (his visis…) et quæst. II (sed hic sunt duo dubia ; primum…).
  5. Secundus liber Sententiarum Magistri Francisci de Marchia, Dist. III, quæst. IV : Utrum primum mobile sive ultima spera sit in loco. Bibl. Nat., fonds latin, ms. no 3071, fol. 107, col. c, à fol. 108, col. a.