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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

IV
l’école scotiste


Dieu peut imposer à la Terre comme au Ciel tous les mouvements qu’il leur veut donner ; bien loin de restreindre cette liberté de Dieu au nom a une théorie du lieu, il faut s’efforcer de construire une théorie du lieu qui sauvegarde cette liberté. Tel est le programme tracé par Duns Scot aux recherches de ses disciples. Pour l’accomplir, d’ailleurs, il leur a marqué la voie à suivre. En attribuant au lieu cette immobilité par équivalence, évidemment empruntée à l’enseignement de Damascius et de Simplicius, il a montré qu’il convenait, en cette question, de suivre plutôt la tradition de ces philosophes que celle d’Aristote et d’Averroès.

Pierre Auriol paraît, lui aussi, s’inspirer de Damascius et de Simplicius en la théorie du lieu qu’il développe lorsqu’il commente le second livre des Sentences[1].

« Le lieu d’un corps, disait Auriol, n’est pas autre chose que la position déterminée que ce corps occupe ici ou là. Locus per se et primo non est aliud quam positio, puta hic et ibi. C’est par accident que le lieu est la surface du corps contenant. » En ces deux propositions, notre franciscain résumait toute sa thèse.

Supposons, en effet, qu’il suffise de poser une chose pour que le corps auquel elle se rapporte occupe un lieu déterminé dans l’Univers ; qu’il suffise de la changer pour que le lieu de ce corps soit changé ; cette chose, assurément, sera formellement identique au lieu du corps. Or, que l’on place à plusieurs reprises un corps en même position ; il se trouvera au même lieu ; que l’on change au contraire la position du corps sans modifier la matière qui l’environne, qu’on le transporte par exemple avec le vase qui le contient ; il changera de lieu. Le lieu d’un corps n’est donc rien d’autre que la position ou la situation de ce corps dans l’Univers.

Cette définition fait évanouir les difficultés relatives au mouvement de l’orbite suprême. L’orbite suprême, qu’aucun corps n’environne, n’est pas en un lieu au sens qu’Aristote donne à ce

  1. Petri Aureoli Verberii Ordinis Minorum Archiepiscopi Aquensis S. E. R. Cardinalis. Commentariorum in secundum librum Sententiarum. Tomus Secundus. Romæ, Ex Typographia Aloysij Zanetti. MDCV. Sumptibus Societatis Bibliopolarum D. Thomæ Aquinatis de Urbe. Superiorum pennissu. Lib. il, dist. II, quæst. III : De loco .nngelonim. Art. I : Utrum locus sit superficies corporis continenlis immobilis prinnim ; pp. 49 sqq.