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LE LIEU

ment d’ensemble. Il ne saurait, davantage, interrompre son mouvement de rotation ; s’il cessait de tourner, il cesserait d’exister, et son moteur cesserait, lui aussi, d’exister. Ces propositions sont une des parties essentielles de la doctrine averroïste, et voici en quels termes Jean de Jandun en résume la justification :

« Si des objets sont ordonnés à une certaine fin, ces objets cessent d’exister du moment que cette fin vient à manquer. »

« Or, le Moteur du Ciel et le Ciel lui-même sont ordonnés au mouvement du Ciel, et voici comment ; Le but du Moteur céleste est de répandre sa bonté parmi les êtres. Mais il ne saurait répandre sa bonté sans l’intermédiaire du mouvement ; par lui-même, en effet, le premier Moteur ne pourrait exercer qu’une influence uniforme ; pour qu’il puisse exercer une influence variable, il faut qu’il soit assisté de quelque objet dont la manière d’être changé d’un instant à l’autre ; le Ciel, grâce à son mouvement, lui fournit cet objet. Ainsi le Moteur céleste ne saurait répandre sa bonté parmi les êtres sans l’intermédiaire du Ciel dont la manière d’être doit, dans ce but, changer d’un instant à l’autre ; et la manière d’être du Ciel ne change d’un instant à l’autre qu’en raison du mouvement de ce corps ; il est donc bien exact de dire que le Moteur céleste et le Ciel lui-même sont ordonnés en vue du mouvement qui est leur fin. »

« Dès lors, si le mouvement venait à manquer, le Ciel et son Moteur cesseraient d’exister,… ce qui est impossible. »

Dieu, qui est ce premier Moteur, ce Moteur du Ciel, ne pourrait donc mouvoir la Terre ; les conséquences qui découleraient de ce mouvement, et que nous venons de mettre en évidence, sont contradictoires.

En toute cette argumentation, il n’est presque aucune proposition qui ne se trouve parmi celles dont les docteurs de la Sorbonne, sous la présidence d’Étienne Tempier, ont fait rigoureuse justice. Par les condamnations qu’ils ont portées en 1277, les théologiens de la Sorbonne se trouvent avoir frayé la voie au système de Copernic ; comment, en effet, ce système aurait-il pu être proposé si les philosophes, se rangeant à l’avis de Jean de Jandun, eussent regardé le mouvement de la Terre comme une absurdité logique, défiant même la toute-puissance de Dieu ?