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LE LIEU

pourrait se mouvoir ; or, rien n’est susceptible de se mouvoir si ce n’est un corps.

Ce corps ne peut être formé de matière céleste ; aucune partie de celle-ci ne peut être immobile. Il ne peut être hors du Ciel, car hors du Ciel, il n’est point de corps. Il est donc entouré par le Ciel.

« Ce corps fixe est la Terre, par rapport à laquelle le Ciel en mouvement se comporte différemment aux diverses époques. Considéré dans sa totalité, le Ciel change par rapport à la Terre quant à sa disposition, mais point quant à son ensemble ; quant aux parties du Ciel, chacune d’elles éprouve, par rapport à la Terre, et un changement de disposition, et un déplacement d’ensemble. Telle est l’opinion soutenue par le Commentateur au quatrième livre des Physiques. »

Cette opinion d’Averroès, Jean de Jandun l’analyse plus complètement qu’aucun de ses prédécesseurs. Voici, en effet, en quels termes il reprend[1] point par point toute l’argumentation précédente, résumant avec une rare précision la tradition péripatéticienne qui s’est déroulée d’Aristote à Averroès ;

En premier lieu, « le Ciel se meut d’un mouvement uniforme et perpétuel… »

« En second lieu, je dis que ce mouvement requiert la fixité d’un certain objet corporel. Se mouvoir, en effet, c’est se comporter maintenant d’une manière autre qu’auparavant. Mais s’il n’existait pas un objet corporel qui soit fixe par rapport au Ciel, on ne pourrait pas dire que le Ciel se comporte maintenant autrement qu’il se comportait auparavant… Se comporter différemment, en effet, ne peut être que par comparaison avec quelque chose de fixe, car c’est par comparaison à l’uniformité que toute diversité se reconnaît. Par conséquent, il faut qu’il existe un objet fixe par rapport auquel on puisse dire que le Ciel se comporte maintenant autrement qu’il ne se comportait auparavant. Et ce quelque chose est nécessairement un corps ; par rapport à un indivisible, en effet, le Ciel se comporterait toujours de même manière, et non d’une manière variable d’un instant à l’autre. Il est donc requis que cet objet soit un corps. »

« En troisième lieu, je dis que ce repère fixe n’appartient pas au Ciel… Il faut qu’il soit étranger au Ciel et qu’il soit ce qu’on nomme le centre du Monde. »

  1. Joannis de Janduno Quæstiones de motibus animalium ; quæst. VII : Utrum fixio Cæli sit causaliter ex fixione Terra ?