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LE LIEU

immobile. Cet objet, en effet, ne peut être que mobile ou immobile. S’il est immobile, la proposition est acquise. S’il est mobile, on aurait une suite infime de mobiles, ce qui est impossible.

« Si ce volume qui doit servir de repère se mouvait tout entier du même mouvement que le mobile, de la même manière, dans la même direction, avec la même vitesse, par rapport à ce repère la manière d’être du mobile ne changerait pas d’un instant à l’autre. Ainsi, pour qu’un corps puisse se mouvoir, il faut qu’il existe hors de lui un corps immobile ou, du moins, un corps qui ne se meuve pas du même mouvement et avec la même vitesse. »

Le chanoine de Senlis développe à trois reprises ces mêmes considérations[1] ; elles reproduisent d’ailleurs presque textuellement ce que Pierre d’Auvergne avait écrit en commentant le même ouvrage.

Ces considérations ont pour objet d’établir fermement l’axiome péripatéticien : Tout mouvement suppose l’existence d’un repère fixe. Jean de Jandun invoque, d’ailleurs, cet axiome en plusieurs autres écrits[2].

Cet axiome, Albert le Grand n’en admettait pas la généralité ; il le voulait restreindre aux mouvements causés par une intelligence (tels les mouvements des cieux) ; ou par une âme (tels les mouvements des animaux) ; les mouvements naturels, la chute des graves, l’ascension des corps légers, ne lui semblaient pas requérir l’existence d’un terme de comparaison fixe.

Jean de Jandun, au contraire, soutient l’universalité du principe formulé par Alexandre, par Thémistius, par Simplicius et par Averroès ; les mouvements naturels des corps graves ou légers n’y font point exception. « À cette question[3] : Un grave requiert-il l’existence d’un corps fixe vers lequel il se meuve ? Je réponds : Oui. Les corps graves et légers, en effet, se meuvent afin de parvenir au repos ; tout mouvement naturel est ordonné à cet objet que le mobile se repose en son lieu propre. S’il n’existait pas un but capable de servir de terme au mouvement, ce mouvement, qui

  1. Joannis de Janduno Quæstiones super parvis naturalibus ; quæstiones de motibus animalium ; quæst. V : Num in motu progressivo ipsius animalis requiratur extra ipsum aliquod fixum ? — Quæst. VI : Num Cælum in motu suo indigeat aliquo corpore quiescente ? — Quæst. X : Utrum inanimata requirunt aliquod fixum in motu locali ?
  2. Joannis de Janduno Quæstiones in octo libros Aristotelis de physica auscultatione ; in lib. IV, quæst. IX : Utrum ultima sphæra sit in loco ? — Quæstiones in libros de Cælo et Mundo ; in lib. II, quæst. VI : An Terra propter Cæli motum necessaria sit ?
  3. Joannis de Janduno Quæstiones de motibus animalium quæst. X ; Utrum inanimata requirant aliquod fixum in motu locali ?