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LE LIEU

bile parce que le mouvement de ce corps n’entraîne pas nécessairement le mouvement du lieu. Ainsi les rives et le lit du fleuve sont le lieu immobile du navire qui flotte sur les eaux de ce fleuve, parce que le navire peut se mouvoir sans que ces rives et ce lit changent de place. De même, encore, on peut dire que la concavité de l’orbite lunaire est le lieu du feu ; si une partie du feu vient à se mouvoir vers le bas, il n’est pas nécessaire que la portion de 1’orbite lunaire qui contenait ce feu le suive en sa descente, et cela bien que cette orbite se meuve elle-même, mais d’un autre mouvement.

Cet exemple conduit à la seconde signification que Jandun attribue à l’immobilité du lieu : Lorsqu’un corps se meut vers un certain lieu et que ce lieu est le terme où il doit se trouver naturellement en repos, ce lieu n’est pas animé du même mouvement que le corps mobile.

Jandun insiste sur ce point que la seconde signification du mot immobile a trait seulement au lieu naturel, tandis que la première peut s’entendre du lieu en général. Si nous en croyons Jean le Chanoine, François de La Marche avait émis des opinions analogues, mais en les entendant toujours du lieu pris en général. Walter Burley, au contraire, qui semble ici encore s’être inspiré de Jean de Jandun, n’exposera de semblables considérations qu’en les restreignant au seul lieu naturel.

Le célèbre problème du lieu de l’orbite ultime retient longtemps Jandun[1] ; il passe en revue les diverses opinions qui ont été émises à ce sujet, et il les discute minutieusement. Contre la théorie proposée par Saint Thomas en son commentaire à la Physique d’Aristote, il reprend les arguments de Gilles de Rome. En même temps qu’il repousse cette théorie, il réfute l’objection que le Docteur Angélique avait fait valoir contre la solution d’Averroès ; le corps central est, il est vrai, par sa substance, étranger à la sphère suprême ; mais il ne lui est pas entièrement extrinsèque, car il est contenu par elle.

Parmi les réponses qui ont été données à la difficile question que Jandun examine, il en est deux qui lui paraissent défendables : l’une est celle qui a été formulée par Avempace, reprenant, au dire d’Averroès, l’opinion d’Al-Farabi ; l’autre est celle du Commentateur lui-même. Entre ces deux réponses, le chanoine de Senlis se défend de choisir d’une manière exclusive ; il semble

  1. Jean de Jandun, Op. cit., in lib. IV, quæst. IX : An ultima sphæra sit in loco ?