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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

terme que d’une manière extrinsèque et médiate, par l’intermédiaire de l’ubi dont il est la cause.

Le lieu est-il simplement surface ? À cette question Jandun répond[1] en empruntant au Pseudo-Thomas d’Aquin l’opinion qu’il a exposée dans son opuscule De natura loci.

De cette opinion, toutefois, il discute et rejette la première partie ; il n’est point satisfait que l’on distingue le lieu de la surface du corps contenant en disant : « La surface est la limite du corps contenant considérée d’une manière intrinsèque à ce corps ; le lieu est cette même limite du contenant, considérée d’une manière extrinsèque, comme borne du corps contenu. »

Mais si cette distinction lui semble insuffisante, il admet pleinement, en revanche, les considérations que le Pseudo-Thomas y a jointes. Le lieu n’est pas seulement la surface ultime du contenant ; c’est aussi une vertu, propre à conserver le contenu, dont cette surface est douée et qu’elle tient du Ciel. Il y a donc à considérer dans le lieu deux éléments : la surface, d’abord, qui en est en quelque sorte l’élément matériel et qui prend place dans la catégorie de la quantité ; ensuite, la vertu propre à conserver le contenu, qui y joue le rôle d’élément formel et qui doit être rangée dans la catégorie de la qualité.

Après avoir analysé la nature du lieu, Jandun en étudie l’immobilité[2] ; en quel sens peut-on dire que le lieu est immobile ?

Deux théories, qui ont essayé de sauvegarder l’immobilité du lieu, sollicitent l’attention de Jandun : l’une est celle de Saint-Thomas, qui attribue la mobilité au lien matériel et l’immobilité à la ratio loci ; l’autre est celle de Gilles de Rome, qui attribue au lieu une matière immobile et une forme mobile ; le chanoine de Senlis rejette également ces deux théories auxquelles il oppose exactement les arguments que les Scotistes et Guillaume d’Ockam leur objecteront.

Le lieu, conclut Jandun, n’est pas mobile par lui-même, car il n’est pas corps ; mais il est mobile par accident ; attribut de la matière ambiante, il est mobile avec cette matière. Cette conclusion est aussi celle que développera Walter Burley, inspiré, très certainement, par le maître averroïste.

Quel est donc le sens que l’on peut attribuer à cette proposition : Le lieu est immobile ? Jandun en indique deux.

On peut, tout, d’abord, dire que le lieu d’un corps est immo-

  1. Jean de Jandun, Op. cit., in lib. IV, quæst. V : Locus in quonam genere sit ?
  2. Jean de Jandun, Op. cit., in lib. IV, quæst. VI : An locus sit immobilis ?