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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

elle n’est pas en un lieu ; elle n’a pas d’ubi ; comment donc peut-elle se mouvoir de mouvement local ? Peut-être prétendra-t-on que la dernière sphère céleste est immobile ; on n’en serait guère plus avancé en la solution de cette difficulté ; dire que la dernière sphère est immobile, ce serait affirmer qu’elle ne se meut point du mouvement local dont elle est capable ; mais de quel mouvement local serait-elle capable si elle n’est en aucun lieu ?

Selon Duns Scot, la solution de cette difficulté gît dans une distinction.

Le mouvement local des corps autres que l’orbe suprême consiste en la continuelle destruction d’un certain ubi que remplace un autre ubi ; le corps cesse d’être logé d’une certaine manière pour être logé ensuite d’une autre manière. Il n’en est pas de même de la dernière orbite ; sa manière d’être logée ne change pas ; elle n’est jamais logée ; ce qui change d’instant en instant, c’est la manière dont elle loge le corps qui est contenu ; les autres corps se meuvent secundum locari ; elle se meut secundum locare.

Selon Duns Scot, c’est là le sens qu’il faut attribuer à la proposition célèbre d’Averroès : Le dernier Ciel est en un lieu par son centre.

À ces considérations, le Docteur Subtil donne la conclusion que voici : « De même que le Ciel peut tourner bien qu’aucun corps ne le contienne, de même il pourrait tourner alors qu’il ne contiendrait aucun corps ; il pourrait encore tourner, par exemple, s’il était formé d’une seule sphère, homogène dans toute son étendue ; le mouvement de rotation, pris en lui-même, est donc une certaine forme qui s’écoule sans cesse (forma fluens) ; et cette forme peut exister par elle-même, sans que l’on ait besoin de la considérer par rapport à un autre corps, soit contenant, soit contenu ; c’est une forme purement absolue. »

Cette conclusion, qui pose le caractère absolu du mouvement, contredit formellement à tout ce que l’École avait entendu enseigner jusqu’alors ; elle eût assurément mérité quelque explication ; cette explication, Duns Scot nous la refuse ; il présente cette surprenante affirmation comme une sorte d’énigme : « Cherche une réponse, dit-il ; quære responsionem. »